Le droit du sol

Portraits de ces femmes et ces hommes qui ne résistent pas à l’appel des bois

 

La saison est là, le champignon aussi peut être mais ils sont des milliers à aller traquer la pépite saisonnière des menus gastronomiques de l’automne.

 

Préparation minutieuse

Le chercheur calcule tout : la destination d’abord dont le choix peut être motivé par la connaissance d’un endroit prolifique ou la conséquence du fantasme d’une rencontre opportunément révélatrice et confidentielle.

La consultation de l’inévitable partenaire, météo ciel, détermine le port du vêtement chaud, de l’imperméable ou de la chemisette sans omettre de protéger les pieds par des bottes ou des chaussures de marche. Foulard, casquette, bonnet laissent plus de place à l’improvisation des élégances raffinées du moment.

L’outillage distingue les personnalités : panier à fond protégé ou poche grande surface, couteau Opinel ou serpette, bâton style Compostelle ou plus rustique.

Qui véhiculera les amis, à quelle heure le départ ? La fortune appartient à ceux qui se lèvent tôt.

Dès l’aurore, le ramasseur porte l’espoir d’une cueillette qui débordera du panier ou d’une rencontre avec un champignon gavé de cellules organiques, plus obèse encore que celui déniché l’an dernier à Laruscade*. Il rêve tout simplement d’être le champion éphémère de cette compétition amicale.

 

Tous pareils, tous différents.

S’enfoncer très rapidement dans la première direction aperçue pour être aux avant-postes et ramasser avant les autres ou réfléchir au chemin à prendre en fonction de critères nombreux mais hasardeux. À chacun sa méthode.

Dans les odeurs de sous-bois et la palette de couleurs naturelles, transparaissent des comportements divers. Le style sanglier force les taillis, risque les piqures de ronces et se trempe les pieds dans les ruisseaux. Le style plus précieux marche en bord herbu de sentier, serpente entre les arbres aux couleurs automnales, contourne les buissons impénétrables, déplace méthodiquement feuilles mortes et branches cassées au cas où la précipitation du sanglier aurait généré des oublis.

Quant au ramassage, le forcené arrache l’objet de la cueillette à sa terre natale, une véritable émigration forcée, pour le jeter dans la poche où il va rejoindre ses compagnons d’esclavage culinaire, lui qui ne demandait qu’à vivre de ses ressources locales. Le minutieux dégage fébrilement le pied pour le couper, recouvre de terre précautionneusement le lieu de naissance, parfois par souci de favoriser la fertilité du site mais aussi plus sournoisement pour ne pas donner d’indice à un éventuel concurrent.

Le champignon cueilli, il est tenu avec précaution dans la main. Pour certains, la toilette est rapide mais pour d’autres, le nettoyage sur place est obligatoire, brossage, frottage avec minutie.

Et passent ainsi les heures, on se retrouve en exhibant la plus belle prise. Chacun justifie l’importance de sa cueillette. Le modeste qui a rempli son panier ou sa poche jusqu’au bord, « par chance » dit-il, le faux modeste qui en a même dans les poches du veston « pour une fois » avoue-t-il, le vrai modeste qui a une pauvre cueillette « comme d’habitude » constate-t-il. Et si possible aucun ne dira où il a fait la meilleure collecte en répondant évasivement aux questions désinvoltes mais intéressées des compagnons de cueillette. Sur le chemin du retour, chacun se veut mycologue, érudit et disserte sur la pousse du champignon.

 

Passer aux choses sérieuses

Le devenir des champignons ! S’attaquer à la préparation des conserves en prévision d’invitations, leur faire subir le supplice du congélateur pour une consommation plus proche, envisager de les cuisiner le soir même, dégustation souvent considérée comme la plus goûteuse ; en offrir quelques-uns au voisin, à un ami, à un parent ou parfois même les vendre, acte qui parait souvent indignement mercantile.

De toute façon, ces proches de la nature repartiront en solitaire au cas où ils manqueraient la pousse du siècle.

 

Alain Lagrange

 

*Laruscade, petite commune de l’Entre-deux-mers, réputée pour ses bois riches en champignons.

 

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