La bagagerie

Au cœur de Bordeaux une bagagerie pour une dignité retrouvée chez les personnes en difficulté d'hébergement.

 

Un moment de repos...
Un moment de repos...
En route vers la bagagerie (P. Deysson)
En route vers la bagagerie (P. Deysson)

La bagagerie : une enseigne comme une autre, dans cette rue calme du quartier Saint-Pierre de Bordeaux, quartier réhabilité, tant du point de vue historique, architectural, que sociologique.

Une façade d'un local éclairé de l'intérieur, qui accroche le regard. Une affichette collée sur la vitre qui indique les heures d'ouverture : 8h-12h/14h-16h45, du lundi au vendredi. Ce qui impressionne lorsqu'on entre dans le local (nul besoin de frapper ou de sonner, on entre), c'est la chaleur du lieu, chaleur de la présence de nombreuses personnes qui vaquent à leurs occupations, chaleur de l'accueil des responsables, ronronnement des machines à laver qui tournent, arôme du café fumant.

 

Forcer le destin

Fortes d'expériences vécues sur le terrain, des accidents de la vie, Catherine et Annick, les responsables du service, avaient pris l'initiative de l'aménagement d'un espace d’accueil et de bagagerie en investissant un local près de la gare Saint-Jean. Ayant bénéficié de l'attention soutenue d'interlocuteurs locaux, elles ont su mobiliser les partenaires du secteur public (Mairie de Bordeaux, CUB) et privé (Fondation Abbé-Pierre, ERDF*...) qui ont contribué à la réalisation du projet. Un espace accueil, cinquante casiers pour bagages, deux douches, une buanderie...

La gestion du service est assurée par le CAIO (Centre d'accueil, information et orientation) dont la mission est « d'accueillir, informer, aider, orienter les personnes en difficulté », et dont les responsables sont aujourd'hui salariées.

 

Des histoires singulières

La bagagerie répond à plusieurs problématiques rencontrées par les personnes sans hébergement :

– Offrir un espace sécurisé pour les effets personnels.

– Proposer un espace de répit.

– Aider à la réinsertion sociale.

– Nouer des relations dans un environnement sécurisant.

Les personnes bénéficiant de ce service sont en majorité des hommes bien que l'offre soit mixte. Ce lieu est aussi un lieu d'accueil, de repos pour conjurer l'errance et la solitude.

C'est un espace de reconstruction personnelle où s'échangent des tranches de vie, des tracasseries, des projets, des petits riens, de l'attention portée aux autres. Une femme propose de céder à la bagagerie le planisphère plastifié qu'on lui a offert, pour que « les nouveaux arrivants puissent indiquer d'où ils viennent. »

Jamais les quelques pièces amassées de ci, de là, n'ont prises autant de valeur, celle d'un café partagé...Spontanément deux grands gaillards proposent d'aider au nettoyage des vitres du local.

 

Voyageur sans bagage ?

Les bagages et effets personnels peuvent être déposés, à la journée, à la semaine ou au mois, suivant une contribution modique de deux euros la semaine, cinq pour le mois. Le service est gratuit pour les personnes de moins de 25 ans ne bénéficiant pas de ressources. La durée du dépôt varie selon les projets et nécessités de chacun : recherche d'hébergement, démarches administratives, rendez-vous emplois...

Cela permet aux personnes, dégagées du souci de la sécurité de leurs affaires, de découvrir un espace de liberté dans leurs mouvements, leurs déplacements, leurs rencontres. Cette démarche est fondamentale car elle requiert pour chacun l'investissement d'un espace de confiance, d'une reconnaissance. Se séparer de ses choses les plus chères (nos sacs contiennent nos vies), c’est faire l'expérience de nouvelles possibilités, d'autres capacités mobilisables. Ceci doit participer à la restauration de l'estime de soi.

En termes d'innovation sociale, la bagagerie est une réussite.

Elle répond à de véritables besoins en permettant aux personnes confrontées à l'errance de bénéficier de nouveaux repères, ancrages pour la réinsertion. Elle participe à la restauration des personnes en garantissant et préservant leur dignité. Elle promeut un espace de liberté gagné sur la contrainte.

Un petit coup de pouce pour plus d'humanité.

 

Jean-Louis Deysson