Troc et trucs

Deux cousins, Etienne et Gilles (photo D.R)
Deux cousins, Etienne et Gilles (photo D.R)

L'argent, nerf de l'entreprise, une des choses les moins bien partagées. Rétablir un brin d'équilibre, doux rêve ou réalité ?


« Point d'argent, point de Suisse », les portes restent closes. Ni écoute, ni compréhension, ni aide. D'où brain storming, burn out etc. pourquoi ne pas envisager le crowd funding ? Traduction : tempête sous un crâne, pétage de plombs intégral. Et si on partageait soucis et besoins...

Photo D.Guillon
Photo D.Guillon

La première gorgée de bière

Au sortir de Sardillac-en-Dordogne, au lieu-dit Le Gros Caillou, un panneau : « Lapépie bière made in Périgord ». Les canards d'ici auraient-ils soif ? Aujourd'hui Étienne et Gilles, trentenaires, sont occupés à embouteiller. Sur la table une cuve, par terre des caisses pleines de canettes vides, ambrées à souhait. Étienne remplit les bouteilles que Gilles capsule. L'étiqueteuse à main, pur produit maison, terminera l'opération. Les deux cousins ont ouvert la brasserie à la mi-octobre 2013. Auparavant Gilles, un BTS d’œnologie en poche avait bourlingué et vinifié de Cahors à la Nouvelle-Zélande en passant par le Languedoc et le Bergeracois. Étienne, maçon installé au Costa-Rica rentre au bercail. Ils se retrouvent. Ils sont complémentaires. « Comment occuper les week-ends ? Et si on faisait de la bière ? » Un peu épicuriens sur les bords, tous deux aiment la vie, les arômes, la nature, les rencontres et bien sûr la bière. Des hommes de goût, des gens de ce causse calcaire du Périgord qui fleure bon la truffe. « Le secret pour élaborer un grand cru ? Un assemblage harmonieux des cépages. Alors pour doser l'amertume et les parfums des bières, pourquoi ne pas diversifier les houblons quitte à cueillir peut-être les plants sauvages de nos champs ? Les week-ends sont laborieux mais si riches ! Les deux amis imaginent, créent et installent leurs machines. Pour le brassage, ils recyclent un moteur d'essuie-glaces, pour le filtrage une gaine de douche. Ainsi prend forme leur brasserie. Les grains d'orge venus d'une malterie du Tarn donneront aux bières leurs superbes couleurs, selon la manière dont les malts auront été chauffés. Enfin les échantillons sont prêts. Gilles prend son bâton de pèlerin et se tourne vers ses anciens partenaires cavistes, restaurateurs ou épiciers pour faire découvrir ses produits. Succès, commandes, ils peuvent démarrer, écouler le fruit de leurs efforts. Mais les clients paient à trois mois et pour continuer à produire, il faut renouveler la matière première, acheter le label bio etc. et les poches sont vides.

 

Panne sèche

Jusque-là, les deux passionnés ont investi toutes leurs économies, travaillant en même temps à l'extérieur. Aujourd'hui leur rêve est sur le point de se réaliser. Ils se tournent en vain vers les banques. On ne prête qu'aux riches, c'est bien connu. Le découragement va-t-il avoir raison de la passion ? C'est mal les connaître. Et l'ami Internet entre en jeu. Assis devant le clavier, Étienne et Gilles font le tour de leurs contacts, pépés, mémés, tontons, tatas et les amis. Plus la liste s'allonge plus les deux internautes retrouvent espoir et sourire. Deuxième hic : rédiger une annonce enthousiaste magnifiant leur projet. Tout un art. Et voilà ! Envoyer ! C'est parti. Les deux amis souhaitaient 2600 €, en 15 jours ils en récoltent 3000. Des dons de 10 à 100 €, les parents, les amis et même des anonymes. Ouf ! L'aventure va se poursuivre. Un lopin de terre argileuse semble propice à la culture du houblon. Ils achètent des rhizomes, hérissent la parcelle de piquets d'acacia et de ficelles, la plante n'aura plus qu'à grimper et fructifier. Dans 3 ans en septembre, ils feront leur première récolte ! Alors ils se remettent au travail, à la cuve de 100 litres, ils en rajoutent une de 300. Une ou deux fois par semaine, houblon et orge entrent en danse, brassage, ébullition, refroidissement et se retrouvent, assortis des mêmes levures que le vin dans les cuves de fermentation. Enfin, débourbage et prélèvement des bières finies qui partiront vers la région mais aussi vers de grandes villes proches ou lointaines. Belle histoire, belle fin, merci au partage, merci aux amis. Et comme cet échange est un peu un troc, au mois de juillet, tous les généreux donateurs se sont retrouvés pour une soirée mémorable : musique, esprit de fête, bonne humeur et petits cadeaux à chacun.

De plus en plus de jeunes entreprenants ont recours à ce mode de financement : réalisateurs, étudiants chercheurs, etc. Signe des temps ? Retour à la case départ ? Et si le troc et les trucs favorisaient l'accès au top ?

 

Dany Guillon

Photo D. Guillon
Photo D. Guillon