Des mots sur les maux

 

Un des enjeux de la psychanalyse est de mobiliser la faculté de ramener volontairement des souvenirs à la conscience pour un mieux-être.

Un défi de la mémoire, articuler les souvenirs épars ( photo J.L. Deysson)
Un défi de la mémoire, articuler les souvenirs épars ( photo J.L. Deysson)

Depuis son cabinet d'analyste, situé sur les quais de Bordeaux, Bruno Larrose a vue sur la Garonne, le pont de pierre et la caserne des pompiers de la Benauge. En cette journée de janvier 2022, soleil pâle et brouillard tenace, psychologue clinicien de formation et psychanalyste, il nous accompagne dans une réflexion sur la fonction de la mémoire dans la cure analytique.

 

Recours au rêve

Si la mémoire est « la faculté de conserver et de rappeler des choses passées et ce qui s'y trouve associé, la psychanalyse est un processus par lequel le sujet évoque dans sa conscience des évènements conservés dans son inconscient ».

Le principe d'une cure analytique n'est pas de « tout dire » mais d'associer librement des idées qui vous viennent à l'esprit. La position allongée sur le divan aide à cette exploration, à la recherche de situations, d'événements, de souvenirs enfouis dans l'inconscient du sujet et dont les rêves peuvent être de véritables révélateurs, indicateurs. Le recours au rêve, à son énonciation, à son interprétation, mettre des mots sur les maux, convoquer les souvenirs, participe à la démarche singulière d'aide à l'allégement de son mal-être. « Dans ce travail de remémoration, les souvenirs sont partiels, modifiés, partisans, arrangés pour être acceptables » nous indique notre interlocuteur. Les mécanismes du rêve, déplacement et condensation viennent modifier le souvenir.

Qui dit mémoire, dit oubli. L'oubli est un acte quasiment réussi. Les oublis ne sont pas des dysfonctionnements de la mémoire mais un mode particulier de celle-ci. Ce qui embarrasse le sujet peut être mis à l'écart sans disparaître pour autant : c'est le rôle du refoulement, mécanisme de défense inconscient qui empêche certains désirs ou sentiments de s'exprimer. Mais c'est aussi un moyen pour nous prémunir de la souffrance. Ce qui est refoulé existe toujours et fait partie de l'inconscient. Ce qui a été perçu n'est jamais oublié. Pourtant, nous oublions un très grand nombre de sensations et de perceptions parce qu'elles sont trop faibles. L'oubli est un processus inhérent à toute forme de mémoire subjective.

 

Dévoilement

La psychanalyse consiste à récupérer des souvenirs refoulés dans le passé infantile du sujet. Les symptômes psychiques ou psychosomatiques sont l'expression de ces conflits refoulés devenus inconscients. Il s'agit alors de ramener à la conscience claire et vécue des traces mnésiques inconscientes. L'expérience analytique vise à ce rappel progressif de souvenirs que le patient croyait perdus.

Bruno Larrose nous indique que « le travail analytique assouplit les mécanismes de défense des choses inimaginables, insupportables : déni, dénégation, banalisation, autant de processus qui viennent protéger le sujet que le passé attaque : non-dits familiaux, violences, abandons, carences, problèmes sexuels, abus, traumatismes, etc. Il rajoute : « Face au discours logique de la conscience, les rêves, les rêves éveillés, les lapsus, les actes manqués font effet de révélation à la personne. Au moyen de l'interprétation, coconstruite, partagée, se dessine un dévoilement des choses cachées ».

Mais le travail analytique du patient interroge aussi le rapport qu'a l'analyste de sa propre relation à l'inconscient, à la vie, à l'angoisse, à l'excitation. Cela suppose pour ce dernier un cursus analytique sérieux et rigoureux et un travail de contrôle. Le psychanalyste est dépositaire du récit de l'analysant, il est interrogé, interpellé sur la mémoire de choses qui font écho en lui, comme un soleil pâle filtrant un brouillard tenace.

Jean-Louis Deysson