Douceur masculine

 

Un lieu de vie et d'accueil pour des jeunes mères en difficulté : le parcours singulier d'un homme de conviction.

Nous quittons le Sauternais, ses vignes et ses vins prestigieux, et abordons les forêts de pin du Sud Gironde. Nous voilà, à la sortie d'un village, devant une grande bâtisse entourée de jardins.

Jean-Philippe Aristizabal nous reçoit « chez lui », à l'association Interligne, un lieu de vie et d'accueil particulier. Notre rencontre se fait dans l'immense salon de la maison, canapés profonds, tapis multicolores, feu dans la cheminée. Les chambres des résidentes avec leurs bébés sont à l'étage. Dehors, dans un jardin clos, des jeux et des jouets attendent les enfants. L'homme est chaleureux, expressif, volubile, mais son attention et sa vigilance sont mobilisées par les mouvements de la maison : dans la cuisine, les mères et leurs enfants s'agitent, c'est l'heure des biberons, l'éducatrice temporise et apaise.

 

Un parcours atypique

Rien ne prédisposait Jean Philippe, à l'origine tailleur de pierres, à œuvrer dans le champ de l'accompagnement social. Plusieurs rencontres vont se présenter qui construiront sa trajectoire : moniteur d'atelier dans un ESAT (établissement et service d'aide par le travail), remplacements éducatifs dans des institutions d'enfants, encadrement d'adolescents. Mais surtout la rencontre avec Nicole, aujourd'hui sa femme, elle-même enseignante en institution, avec qui il ouvrira dès 1989, un lieu de vie et d'accueil pour des enfants et adolescents relevant de dispositifs sociaux, médico-sociaux ou sanitaires.

Leur expérience singulière aurait pu continuer, mais en 2005, un événement va infléchir leur parcours : suite à la loi de rénovation sociale du 2 janvier 2002, le décret du 30 décembre 2004 vient encadrer la situation administrative des lieux de vie et d'accueil.

 

Une opportunité à saisir

C'est à cette occasion que Nicole propose à Jean-Philippe de recevoir des jeunes femmes enceintes (mineures et jeunes majeures) et de les accompagner. Se retrouver seule pour assumer une maternité, dans une situation de précarité sociale, affective et psychologique, n'est pas la meilleure situation pour un avenir serein. Le cadre législatif et réglementaire étant lui-même plus sécurisant, il permettait ce projet. Pour Jean-Philippe, ce fut un véritable challenge, plus habitué aux débordements des adolescents ou aux comportements déroutants des enfants psychotiques. Mais il n'est pas homme à se désengager. Un lieu de vie et d'accueil, c'est avant tout un lieu du « vivre avec » et d'une permanence des intervenants.

Être un homme dans un espace essentiellement féminin requiert de fortes qualités. Ni père, ni copain, ni compagnon, Jean-Philippe conseille, écoute, régule, décide, garant d'un cadre sécurisant. Il se refuse à entrer dans les chambres des jeunes mères, ces espaces intimes de relations mère-enfant, où seules les éducatrices et Nicole sont habilitées à intervenir.

La vie se déroule dans le partage de la vie collective (repas, soirées, activités, soins) mais dans le respect des rythmes singuliers. Vivre avec suppose aussi la possibilité de moments d'isolement, d'indépendance, de rencontres avec les compagnons et amis des jeunes mères afin de ne pas être coupé de relations affectives. Les résidentes vouvoient la plupart du temps Jean-Philippe, alors que celui-ci les invite à le tutoyer : forme de respect, de protection, la séparation pouvant être plus dure si l'engagement affectif est trop fort.

 

Les années passent

Jean-Philippe devenu père, puis grand-père fait l'expérience de la confrontation de ses propres enfants devenus parents avec les jeunes mères. Ces rencontres n'allaient pas de soi, mobilisant chez les jeunes femmes beaucoup d'émotion et de projections imaginaires. Le couple aménage un espace privé, marquant ainsi une séparation avec le lieu professionnel mais aussi une différence générationnelle.

Il ne faut pas voir là l'abandon de ce qui faisait l'originalité des lieux de vie vivre avec les personnes accueilliesleur disponibilité et leur pratique en témoignent.

 

Nul mystère : Jean-Philippe Aristizabal est basque. L'empreinte du matriarcat n'aurait-elle pas influencé son engagement ?

 

Jean-louis Deysson