L'art qui sauve

 

L’art-thérapie est un chemin qui permet aux patients d’exprimer leurs émotions et de solliciter leur imagination à travers la pratique de la musique, de la sculpture, du dessin, du théâtre… 

 

Réalisation d’un rideau à partir des lambeaux de ses propres vêtements, par Françoise, jeune femme autiste de 32 ans. Souffrant de troubles de l’expression, elle ne parle pas. Depuis plusieurs années elle ne cesse de lacérer ses propres habits. 

Sophie Agussol, comédienne-scénographe et art-thérapeute salariée du CHU, saisit cette faille pour lui apprendre à créer des objets  à partir de cette matière, en le structurant, puis  en cousant  perles et petites décorations jusqu’à créer un rideau de sa confection, fièrement exposé dans l’espace commun du Foyer d’Accueil. 

 

Déjà, les vertus du dessin… 

Dès la Renaissance, des écrits évoquent le pouvoir curatif de la peinture, disant que la gaieté des « grotesques » peints par Raphaël au Vatican pouvait traiter la mélancolie. Carl Jung, au début du vingtième siècle, intègre les bienfaits du dessin dans sa pratique. 

 Jean Dubuffet, artiste peintre et sculpteur, se passionne pour les productions de patients internés en hôpital psychiatrique, le nommant Art brut et le faisant connaître. Avec André Breton, ils fonderont La compagnie de l’Art brut en 1948, le définissant comme un art « hors les normes », lien entre la création artistique et l’expression de l’inconscient. 

 

L’art-thérapie n’analyse pas l’œuvre. Sa démarche consiste à permettre au patient de laisser surgir ses images intérieures qui peuvent être le reflet d’expériences lourdes du passé ou des rêves auxquels il aspire. Le bien-être émotionnel va s’accompagner d’une baisse de la pression artérielle, de la fatigue et de la douleur. Marine Cougoul, art-thérapeute en musique dans le service d’oncologie à L’Institut Bergonié, note « une diminution significative des effets secondaires tels que nausées et asthénie ». Cette thérapie, relativement récente car essentiellement développée depuis les années 1960, s’installe donc comme une discipline complémentaire à part entière. Préconisée uniquement sur avis médical, elle s’adresse aux patients de tout âge, depuis le petit enfant à la personne âgée, sous la forme d’atelier individuel ou collectif, cinq personnes au maximum. La méthode, pensée sur-mesure, s’adapte au mieux à la problématique sous-jacente. 

En faisant appel aux ressources créatives qui sommeillent en chacun, l’art-thérapie ne nécessite aucun bagage culturel ni talent artistique. De plus, cette expérience absorbante et agréable a pour bienfait complémentaire de réduire l’intrusion de la pensée négative. 

 

Des mains tellement blanches 

Marguerite a tellement de mal à respirer, elle est si angoissée… Âgée de 85 ans, atteinte de maladie neurodégénérative de type Alzheimer, elle n’a plus de repères ni spatiaux, ni temporels, ni de lien avec les autres. Ses mains si blanches la tourmentent. Nolwenn Tournoux, artiste elle-même et art-thérapeute en arts plastiques, l’initie au dessin à l’encre avec des pinceaux chinois. Elle se rappelle alors que son père était sculpteur et que sa sœur dessinait. Reprenant ancrage avec sa famille, un sentiment de sécurité l’apaise. Puis Nolwenn propose un « portrait chinois ». Marguerite aimerait un cerisier japonais. Elle se souvient alors que sa grand-mère était indochinoise et ses mains étaient aussi pâles que les siennes. Les repères se reconstituent et comme le dessin du cerisier est affiché sur les murs de sa chambre, il a le double effet de créer un motif de conversation avec l’équipe des soignants et des visiteurs 

 

Son portrait allongé sur le parquet 

Paul est un petit enfant de 4 ans, autiste, atteint d’une hyper sensibilité sensorielle tactile, ne supportant pas le contact avec la terre, de la peinture sur les mains, ou le toucher de certaines matières textiles par exemple. 

Nolwenn l’amène à travailler sur l’imaginaire. Paul étant allongé sur le parquet, elle dessine le contour de sa silhouette sur un papier puis le reporte au mur. À l’aide de la technique du collage de petits bouts de papier, elle invite peu à peu l’enfant à apposer lui-même un peu de colle à l’aide d’un pinceau, puis de dessiner ses yeux en peinture noire, et aussi sa bouche, et encore le nez… L’enfant finalement trouve son portrait très beau, sa gratification sensorielle a contrebalancé son hypersensibilité. Trois ans après, Paul accepte de faire des dessins avec des feutres. 

Spécialisée en art-thérapie musique en oncologie, Marine Cougoul note que les séances permettent de diminuer la détresse psychologique, de susciter un regain du goût et de l’envie d’avoir des projets, notions essentielles dans ce type de prise en charge. 

 

La magie du piano sans le savoir 

L’objectif recherché pour Émilie, 16 ans, atteinte d’un cancer osseux, était d’éveiller son intérêt pour une activité et de valoriser ses sensations de plaisir par une expression musicale adaptée. Elle accepte alors d’essayer le chant et de faire du piano pour la première fois, mais uniquement avec l’art-thérapeute. Malgré les traitements et les interruptions pendant les séances (infirmières, oncologues, visites…), elle reste toujours très concentrée, attentive et surtout persévérante. Finalement, elle travaille de plus en plus seule son morceau de piano et le joue avec fierté au retour de l’art-thérapeute. Ses séances, pendant trois années de soins, lui ont permis de retrouver une stabilité émotionnelle et surtout de rester très positive dans ses réactions tout au long de sa prise en charge, malgré certaines annonces difficiles de diagnostic ou de traitement. 

Parmi toutes les activités pratiquées par l’art-thérapie, depuis le modelage d’argile ou de pâte à modeler, le collage, le dessin, la photographie, l’écriture, le théâtre, la musique…, il en est une qui est si facile d’accès, si peu chère et ouverte à tous : le coloriage. Cette animation permet un total lâcher-prise, une telle concentration sur le motif que l’on ne pense à rien d’autre. Profondément anti-stress, certains spécialistes lui attribuent même les vertus de la méditation, d’autant que de nombreux indices peuvent émerger sur la vie intérieure, en fonction des sujets représentés et des couleurs utilisées. Face à ces séances de quiétude, le cortisol, l’hormone du stress, ne résiste pas et baisse drastiquement au bout de 45 minutes d’activité et les douleurs du patient s’apaisent. 

 

Paroles de patients en oncologie 

« Pendant la séance musique, on oublie la douleur ; j’ai redécouvert le souffle, respirer, expirer, une véritable bouffée d’oxygène dans ce long parcours » 

« J’ai compris que cette activité musicale allait avoir des répercussions sur mon quotidien ». 

« Mon cancer m’a permis de me lancer dans la peinture et la guitare. C’est agréable et je ne savais pas que j’en étais capable ». 

« Maintenant je chante en allant et en revenant du travail, qu’est-ce que cela fait du bien ! » 

« Le chant a libéré quelque chose d’énorme en moi… ». 

Recueillies par Marine Cougoul

 

Une Maison de l’art-thérapie à Bordeaux 

Depuis le 14 février 2020, l’art-thérapie vit dans de vrais murs à Bordeaux. Cette discipline est en fait déjà présente sur le territoire, depuis 2008, grâce à l’association Le Dire Autrement qui fédère en Aquitaine les acteurs de l’art-thérapie moderne. En 2015, cinq art-thérapeutes, tous diplômés de la Faculté de médecine, ont fondé la Maison des arts et des arts-thérapeutes d’Aquitaine. Aujourd’hui hébergée dans l’EHPAD Terre-Nègre, la MAATA* réalise des ateliers hors les murs, et en proposent d’autres, sur place, toute la semaine, y compris des stages de formation pour les professionnels. Soutenue par l’Agence régionale de santé, elle se situe au carrefour de la santé et de la culture. En plus des ateliers spécifiques d’art-thérapie, sont proposées des activités artistiques ouvertes à tous, sans niveau préalable, en chant, danse, théâtre, écriture et arts visuels. 

*MAATA  95 rue Ernest Renan, Bordeaux 07 69 41 53 04

 

Dominique Galopin