D'or et de soufre

Radieux ou infamant, jaune ambivalent.

L’homme voit et vit en couleurs mais une couleur que personne ne nomme n’a de réalité ni sociale, ni culturelle. Vos premiers ancêtres peignent les parois en rouge, brun et ocre. Les Indiens ont une triade de base : feu (rouge), eau (blanc), terre (noir). Les Grecs ajoutent le jaune (terre), le noir représentant l’air. Témoin privilégié du passé, l’expression colorée fait pénétrer au cœur de la société, entrevoir une symbolique religieuse et sociale. Les couleurs liturgiques majeures sont blanc, noir, rouge ; le vert est aux jours ordinaires. L’héraldique introduit le bleu. Vous voilà avec six couleurs de base !

 

Perception

Pline affirme que les meilleurs peintres ont quatre teintes sur leur palette : brun, rouge, noir et jaune. Au XVIIe siècle, grand débat ! Pour certains, le dessin prévaut : la couleur est séduisante mais trompeuse. Leurs adversaires finiront par admettre que seule la couleur est peinture. C’est elle « qui donne âme et vie à l’œuvre » écrit Diderot. L’invention de la gravure, utilisant le rouge, le bleu et le jaune pour représenter les autres tonalités éteint les querelles.

Aujourd’hui, les couleurs préférées de l’Occident vont du bleu (50%) au jaune en passant par le vert, le blanc, le rouge. Pensez que le support est teinté : le jaune d’un tissu laineux n’a jamais les reflets chatoyants d’un foulard de soie. Les Japonais attachent une grande importance à la notion de mat et de brillant. Mais les Africains sont plus pointus : ils introduisent dans leur appréciation le sec, l’humide, le lisse, le rugueux, le tendre, le dur, le sourd, le sonore, le gai, le triste… Quel vocabulaire !

 

Double jeu

Les publicitaires aiment le jaune qui attire l’œil et fait un effet de premier plan : c’est souvent pour vous dorer la pilule. Les premières fleurs de l’année sont jaunes : boutons d’or, jonquilles, forsythias… C’est le renouveau ! Voyez les fruits : fer, vitamines dans le citron, le pomelo, la banane qui chassent le scorbut et, de façon récente, le stress de la crise. Oui ! mais jaune c’est aussi le danger, le scorpion embusqué, le poisson venimeux, l’insecte qui pique. Bienfaisant et malfaisant, le jaune est vie, richesse, opulence. Il est lumière vivifiante, chaleur, force et brillance. Mais c’est aussi celui qui n’est plus solidaire de ses pareils : « le jaune », le briseur de grève. Or et épis mûrs ; trahison et félonie. Pourquoi cet abîme ? Judas est paré de jaune ainsi que Ganelon. Sans doute sentent-ils le soufre, l’odeur de Satan et de tous ceux qui mentent. Les honnêtes citoyens qui respectent les règles établies, les bonnes mœurs ne veulent pas être confondus avec ceux qui sont marginalisés de gré ou de force. Les couleurs et insignes distinctifs varient suivant le lieu et l’époque. Croix, rouelles, bandes, écharpes, bonnets, gants, chaperons stigmatisent filles de joie, lépreux, juifs, acteurs et autres saltimbanques. En 1407, les prostituées portent une écharpe jaune, à Venise ; des manches vert et jaune, à Séville en1502. Ce sont des obligations : vous avez en mémoire l’étoile jaune…

En littérature, peu de romans ont un titre comportant le mot « jaune » sauf dans les polars, mal considérés durant longtemps et porteurs de mal. Simenon écrit Le chien jaune, Gaston Leroux le célèbre Le mystère de la chambre jaune. Bob Morane court tout au long de ses aventures aux basques de L’ombre jaune, un sinistre oriental. C’est l’époque du péril jaune. La BD n’est pas en reste. Blake et Mortimer affrontent le colonel Olrik avec un énorme succès.

Dans votre environnement familier, La Poste, immédiatement repérée par son jaune caractéristique depuis 1962, est un service public difficilement remplaçable et bien que le facteur porte désormais plus de factures que de lettres d’amour, vous attendez toujours son passage. Mais vous pestez quand une signalisation jaune au sol vous empêche de vous garer…

Pour parodier Ésope, disant de la langue qu’elle est la meilleure et la pire des choses, le jaune est le miel de la  vie et le rire de la mauvaise foi. Laissez aux jaloux, aux envieux, le teint bilieux de la convoitise et de la sottise et croquez vos vacances, tartines dorées et beurre doux.

 

Héléne Postel