Un petit coin de (pa)radis

De nombreux jardins familiaux ou partagés ont émergé à Bordeaux depuis les années 2000 : ils ont en commun de souscrire à la Charte des jardins partagés, éditée par la ville et de s’appuyer sur des associations de quartier très actives.

Des Aubiers à Carle Vernet, la tradition des jardins ouvriers se perpétue à Bordeaux, s’adaptant aux habitants des quartiers et à la politique de « trame verte » de la municipalité. Si le bien manger reste important, les liens sociaux et le vivre ensemble, dans un contexte responsable, deviennent les priorités de ces nouveaux espaces verts. Pour avoir sa binette à demeure, il faut adhérer à l’association du quartier (de quelques euros à une fleur,) y résider et prendre rang !

 

Au nord

Les deux jardins familiaux de Bordeaux sont dans les quartiers denses constitués surtout de grands ensembles. Le tram longe celui des Aubiers où s’étalent 80 parcelles bien clôturées et agrémentées de cabanons improbables. La vocation nourricière est avérée sur ces jardins plus ou moins grands aux portails cadenassés.

À Bacalan, dans le beau parc qui longe la Garonne, le Bocal local gère un jardin de 23 enclos à vocation de potagers d’agrément : on croque ses fèves sous son parasol dans un moment convivial en famille autour d’une jolie table de jardin. La liste d’attente est longue pour prétendre à son petit coin. Tous les jardins évoluent , certains disparaissent, d’autre voient le jour ainsi au pied des grues du chantier de Ginko où des potagers s’organisent en pleine terre ou dans de jolis carrés d’osier agrémentant un espace vert déjà abondant.

 

À Bordeaux-centre, chez les Dames de la foi

L’association 5 de Cœur est la première de Bordeaux qui a créé son jardin : il est né d’un accord entre celle-ci, le COS* Villa Pia et la municipalité. Son but était de donner aux enfants des résidents âgés ou malades d’Alzheimer un endroit de partage et de distraction. Avec le rajeunissement du quartier et l’implantation de la crèche, les 500 mètres carrés du terrain se répartissant en 42 parcelles ont accueilli 14 nouveaux arrivants cette année. Stéphane Domecq en est le responsable, il est fier de montrer son jardin déjà abondant en fèves, petits pois, fraisiers et framboisiers. Il explique la technique mise en œuvre, le lasagnage des sols (quatre couches : cartons, déchets bruns puis verts, puis compost) pour créer un milieu fertile en collaboration avec les amis les vers de terre, la production est assurée sans pesticides ni apports chimiques. Chaque occupant est propriétaire de sa production mais il y toujours des partages de graines, de plants et semis qui assurent le lien entre les exploitants. L’unité Alzheimer et la crèche ont leurs parcelles dédiées et le mélange des générations a une vocation thérapeutique !

Ce jardin est inséré dans le magnifique parc de 8000 m2 des Dames de la Foi : Datant du XIXe siècle, de tradition anglaise, il a été racheté en 2001 par la Mairie qui l’a aménagé remarquablement, amenant une vraie bouffée d’oxygène au quartier Saint-Genès un des plus bourgeois et fréquenté de Bordeaux.

Côté sud

Françoise Carmona est présidente de l’association Génération Tauzin qui a créé le jardin de Bacchus. Il couvre une surface de 500 m2 où 50 parcelles sont actuellement exploitées. Les productions ne sont pas mises en commun, chaque jardinier cultive et récolte son bien mais le troc est très fréquent. Deux ateliers d’échange de graines et plants en mars et mai permettent la relation entre tous. Ce jardin se situe derrière le stade Chaban à l’intérieur de celui de la Béchade, charmant triangle de verdure, bienvenu à côté de la géométrie du Tripode. Il dispose aussi d’un vignoble, Les vignes de Tauzin, très en forme malgré le trafic intense du carrefour.

À quelques dizaines de mètres de la gare, un quartier un peu en marge de l’agitation future d’Euratlantique. Construit dans les années 1970 pour les ouvriers en majorité espagnols et les cheminots, il conserve son caractère populaire ; un très bel espace vert, le jardin Brascassat, lui apporte une fraîcheur insoupçonnable du boulevard. Un centre d’animation très actif et depuis 2016 un jardin partagé, Arc en Fleurs, complètent ce tableau paisible. Ce dernier pousse sur le sol bétonné d’une école, alloué par la Mairie. Sur les 850 m2, 450 sont cultivables dans des bacs en ciment de 4 m2 joyeusement colorés par les jeunes du quartier. Gérard Minjon est le porte-parole de la collégiale qui le gère et en a élaboré la charte intérieure. Les bénéficiaires, tous habitants de Carle Vernet ou de Belcier se réunissent tous les mois avec un intervenant professionnel donnant de précieux conseils aux jardiniers en herbe ; cela peut finir autour de tomates cerise et d’un verre de rosé.

 

Le square partagé

Le jardin du Noviciat, étonnant triangle accolé à l’église du même nom, fameuse un temps pour son aide aux sans-abris a un autre mode de fonctionnement. À l’ombre de l’IJBA* et de l’église Sainte-Croix, Nicolas Gaudé nous le fait visiter : « Créé en 2008 sur une surface de 165 m2, le jardin est pensé suivant le plan du parc des Jésuites qui occupaient, il y a 3 siècles, des hectares jusqu’au cours de la Marne. En hauteur, le cabinet de verdure où l’on doit méditer et se recueillir ; de là, la vue sur Sainte-Croix est imprenable et l’ombrage sera assuré par les plants de vigne de la Victoire promis par la Mairie, patientons un peu ! En traversant « la forêt » où se côtoient  toutes sortes d’arbres, de l’acacia au grenadier, on descend vers le potager. Les habitants du quartier, moyennant le don d’une fleur, peuvent venir y travailler. Tout est mis en commun, les plants, les graines et la production (un peu maigre parfois). Beaucoup de récupération, de recyclage, de bonne humeur mais pas un centime. Le square est autogéré et le « trésorier » est un des jardiniers les plus assidus. Cuisine d’été et BBQ complètent ce jardin « extraordinaire ».

Avec les rues plantées et paysagées, les murs végétalisés et les squares aménagés, ces petits bouts de jardin font reverdir le Bordeaux de l’espace public, devenu bien minéral ces dernières années. De même un gros effort de vert s’impose dans les programmes actuels de construction pour le plus grand bonheur de leurs habitants.

 

 

*COS : fondation créée par l’abbé Glasberg pour venir en aide aux réfugiés dès les années 1930. Sa mission évolue vers l’accueil de tous, handicapés, personnes âgées ou en très grande précarité. La fondation est aujourd’hui gestionnaire de 60 établissements et services.

**IJBA : Institut de journalisme de Bordeaux-Aquitaine

 

Édith Lavault

 

encadré

Les jardins ouvriers naquirent avec la Révolution industrielle dans le nord de l’Europe. Dans les années 1820, en Angleterre, les « champs des pauvres » apportent un complément de ressources aux ouvriers, un loisir sain et un élément de structuration de la famille. En France, il faudra attendre 1850 pour en voir une ébauche mais c’est en 1896, à l’initiative de l’abbé Lemire qu’est créée la Ligue du Coin de Terre et du Foyer « La terre est le moyen, la famille est le but ». Député du Nord il est à l’origine des grandes mesures sociales du début du XXe siècle. Les guerres et les crises économiques font exploser l’expansion de ces jardins dits « ouvriers ». En 1920, la France en compte 47 000 qui deviendront « familiaux » dans les années 1950. Les 30 glorieuses marquent un coup d’arrêt. L’intérêt ne reviendra qu’à partir des années 1990 et à ce jour les jardins se partagent. L’exploitation en est strictement écologique ou responsable.