En vert et contre tout

Les plantes sauvages arrivent à pousser sur le toit de la Base sous-Marine à Bordeaux ou entre les pavés, le long des rues.

 

Il suffit d’un peu d’espace, de l’eau, de l’air et un sol généreux pour que des arbres ou des plantes plus modestes puissent s’épanouir en ville, sans l’intervention des hommes. Il est recommandé de laisser librement croître ces plantes car de plus en plus nous voulons être proches de la nature et laisser s’exprimer la biodiversité. Mais aussi favoriser la lutte contre le réchauffement climatique grâce à l’évaporation des plantes et l’absorption du CO2.

Insoupçonnée

Nichée sur le toit de la Base-sous-Marine à Bordeaux, entre ciel et terre, cette végétation, non visible depuis le sol, est apparue au cours des ans. Une unique visite sur le toit a été organisée durant l’été 2015. Vue la hauteur et le manque de protection, seuls quelques adultes munis d’un casque ont eu ce privilège. La construction, tout en béton armé, date de la deuxième guerre mondiale. Ce les allemands qui ont érigé ce bâtiment ; les premiers sous-marins sont arrivés en 1942. Les dimensions du bunker sont ahurissantes ; 245 m de long, 162 m de large, 19 m de haut. Une grande partie du toit devait être indestructible, faite d’une dalle de 9 m d’épaisseur et de pare-bombes. Une particularité inconnue de la plupart des Bordelais : la végétation spontanée s’est installée au fil des années au cœur des trous béants laissés par les bombardements. Une incroyable conquête de la nature sur les stigmates des bombardements de la guerre. Quelques pare-bombes ont volé en éclats, ont laissé des poches où l’eau de pluie s’est accumulée, ce qui a rendu possible la création de cette végétation. Les graines apportées par les oiseaux ont permis aux fougères, lierres, orchidées sauvages de se développer et même aux arbres tels que les figuiers, frênes, saules qui ont ainsi pu grandir, en 70 ans. Ce potentiel paysager, biologique, poétique a donné l’idée au botaniste Deshais-Fernandez de réaliser une exposition au Jardin botanique de Bordeaux, avec les photographies d’Anthony Rojo puis une exposition à la Base- sous-marine, Le jardin dévoilé, du 2 juin au 1er novembre 2015.

Parcours urbain

Une botaniste de l’association Cistude – Les sentinelles du climat –, située au Haillan, a exploré en compagnie d’une vingtaine d’adultes et d’enfants, les abords du quartier de la mairie à Bordeaux. Objectif : repérer et nommer les plantes et herbes qui poussent et fleurissent sous nos pieds et qu’il ne faut pas détruire. Ont été identifiées la véronique de Perse ou géranium sauvage à feuilles découpées, le trèfle rampant à fleur blanche, l’oseille, le bouton d’or, le laurier pourpre, l’ortie rouge, le bouillon blanc, le pissenlit ou dent de lion, la pâquerette ou beauté éternelle, le trèfle aux fleurs jaunes ou roses, l’euphorbe, la bourse à Pasteur dont les fruits sont recherchés par les oiseaux, le fraisier, originaire d’Inde, le chardon et le sèneçon. Toutes ces plantes ont été trouvées sur un espace très restreint, en plein centre- ville, le long des trottoirs, au raz des murs. Elles se font discrètes, toutes petites car elles manquent d’espace, mais elles fleurissent et se reproduisent, obéissant aux lois de la nature en ignorant les gens de la ville, trop pressés pour les remarquer !

Pierrette Guillot

 

 

 

 

Espèces de compagnie

La photographe Suzanne Lafont a voulu attirer l’attention sur l’évolution des plantes sauvages en milieu urbain et la désorganisation du règne végétal imposée par les humains.

 

L’artiste Suzanne Lafont a déambulé dans onze communes de la métropole bordelaise, au gré des noms attrayants, pendant les quatre saisons. Dans ce milieu urbain, elle a récolté des plantes sauvages, habituellement considérées comme des mauvaises herbes.

Réalité diurne

Elle les a étudiées avec l’aide de botanistes, puis les a photographiées. Les images sont affichées sur les murs de la Galerie de Beaux-Arts, avec la régularité d’une classification botanique. Un herbier de 120 planches photographiques représente les plantes dans leur réalité diurne. Les noms des rues affichés, écrivains, compositeurs, inventeurs, savants sont écrits à la place du nom savant en latin. Lors d’un entretien, Suzanne Lafont précisait : « Chaque planche plonge le visiteur au cœur d’une véritable fiction romanesque. Les images dessinent un réseau de trajectoires, dressent une carte de la déambulation. Les non-humains que sont les plantes entretiennent des relations de familiarité et d’interdépendance avec le monde humain et existent dans un rapport d’étroite compagnie avec la géographie et l’histoire des hommes. »

Désorganisation du végétal

Une deuxième partie de l’œuvre de Suzanne Lafont se composait de 16 photographies où les mêmes plantes, au chromatisme retravaillé, émergent d’un fond noir « pour produire une luminescence qui crée un éblouissement, un brouillage de la vision humaine, suggérant la vie nocturne et mystérieuse d’une flore mutante », explique la photographe, « comment ne pas mettre en relation cette perturbation de la vision avec la désorganisation du règne végétal auquel l’homme impose sans cesse d’inquiétantes mutations ? »

Encadré Exposition réalisée avec le soutien de Bordeaux Métropole dans le cadre de la commande artistique Garonne du 9 novembre 2018 au 8 avril 2019, Nouvelles espèces de compagnie. Roman de Suzanne Lafont, à la Galerie des Beaux-Arts de Bordeaux. (livret ?)

 

Pierrette Guillot