Au bois de mon cœur

En toute modestie, cet espace préservé participe au maintien d'un équilibre entre urbanisme et réserve naturelle.

Qu'on le nomme écrin de verdure, bosquet ou parcelle, situé rue Murat à Caudéran, c’est un petit bois qui appartient à la cité Bonne*. Très apprécié par les riverains, il résiste actuellement à toutes les convoitises. Ce n'est pas le poumon de la ville, plutôt une bronchiole. Ici, pas de clôture, d'une superficie de 1 500 m², une bande de 100 m de longueur sur 15 m de large, il prolonge le parc de la résidence Pasteur-Murat et se termine à l'abord des terrains de tennis du Club athlétique de Mérignac.

 

Habité !

C'est un fouillis d'essences diverses, tilleuls, chênes (d'un faîte de plus de 20 m), de pruniers sauvages et de figuiers, mais aussi de lauriers nobles, de peupliers. À l’orée du bois, trône, majestueux, un pacanier d'une trentaine de mètres de haut. C'est un arbre classé «  arbre remarquable ». Les noix de pécan parsèment le sol, provision des écureuils et gourmandise des passants avisés.

Coincé entre le talus de la voie ferrée Bordeaux - Le Verdon et la rue Murat, ce bois protège les riverains des nuisances sonores du trafic ferroviaire. Il occulte la vision de la profusion des résidences construites sur la commune de Mérignac au plus près des rails.

Le trottoir s'est au fil du temps effacé. Un sentier l'a remplacé que parcourent les promeneurs de chien, les chats du quartier chassent les lézards et les mulots.

Des automobilistes indélicats jettent des paquets de cigarettes vides, des canettes de bière, des mouchoirs, quelquefois des déchets verts sous prétexte d'un terrain abandonné ! Le bois n'est pas à l'abandon, il est habité par une multitude d'oiseaux, des pies, des corneilles perchées au plus haut, des tourterelles, merles, étourneaux et mésanges etc. Un couple de geais y a élu domicile ainsi qu'un pigeon ramier sédentarisé. Un rouge-gorge revient chaque année retrouver son territoire.

On remarque aussi un magnifique nid de frelons asiatiques depuis longtemps inoccupé. Un couple d'écureuils saute d'arbre en arbre le matin de bonne heure.

 

Matin frais

Au moins une fois par an, le bois fait l'objet d'une agitation singulière. Une équipe des espaces verts de la municipalité fait le siège du bois : ordre de la mairie de tondre, élaguer, nettoyer. Les tondeuses autotractées sont prêtes, les tronçonneuses ronflent, le personnel est mobilisé. C'est le moment où les riverains sortent de chez eux et demandent pourquoi la mairie vient s'occuper d'un espace privé ? Car ce bois appartient aux propriétaires de la rue Murat jusqu'au décès du dernier primo-arrivant !Et il en existe encore. Après quelques paroles fortes essayant de couvrir le bruit des engins, des appels téléphoniques aux différentes directions, l'ordre est donné aux employés de battre en retraite. L'inquiétude est de voir ce bois, une fois nettoyé, être préempté et habilité à la construction. Déjà au bout de la rue, un petit square a disparu, remplacé par une maison individuelle.

À force de protestations, les services municipaux ont équipé cette portion de chaussée, longeant le bois, de ralentisseurs limitant la vitesse à 30 km/h, décision idéale pour protéger l'environnement et donner une chance de survie aux familles de hérissons qui, la nuit, annexent les jardins. Quelques clôtures invasives, quelques coupes de bois intrusives ont essayé de s'approprier cet espace. La végétation y est dense, sauvage, plantes et fleurs s'entrelacent. Les sureaux côtoient les bambous, les orties se disputent avec les scilles, iris et violettes cohabitent. L'été, sous l'ombre des arbres, des ouvriers des chantiers environnants viennent déjeuner. Des adolescents écoutent de la musique, fument, refont le monde. Un conducteur fatigué gare sa voiture dans les hautes herbes et s'endort.

Les riverains vigilants ne cultivent pas une nostalgie béate mais essaient de préserver un espace où la biodiversité peut se développer et se pérenniser. Jusqu'à quand ?

 

Jean-louis Deysson

 

 

*En 1956, à Caudéran, sur un terrain de 2,8 ha, la Société civile immobilière des constructeurs de la cité Bonne réalise un projet de maisons individuelles en validant 80 parcelles constructibles. La cité est constituée de maisons mitoyennes avec jardin privatif et garage indépendant.