Sous le signe de Rabelais

Une intronisation en grande pompe

Plus de 300 convives sont réunis dans les caves Painctes à Chinon. Un apéritif à base de vin de Loire, accompagné de quelques amuse-gueule aux fourmaiges des boucqueries de Sainte-Maure et aultres estables ont bien vite réchauffé l’atmosphère, il est vrai un peu fraîche en cette soirée de décembre.

Annoncés par des cors de chasse, les maîtres de la confrérie vineuse des Bons entonneurs rabelaisiens font leur entrée. Tous ont revêtu les attributs de leur charge : longue robe rouge et or, lourde médaille à l’effigie de Rabelais accrochée à un collier également rouge et or, sur les épaules un mantelet rouge bordé d’hermine blanche, une sorte de tricorne rouge complète la tenue.

 

Un peu théâtral

Le Gand maître ouvre solennellement le chapitre de Diane : « Messieurs les beuveurs, honorables dames et gentes demoiselles, en ce 338e jour de l’Annus Christi 1991, la confrérie des Bons entonneurs rabelaisiens déclare ouvert son chapitre de Diane en ce vray pays de Rabelais qui le vit naistre et dit qu’avant l’extraordinaire repaissaille digne des grands gousiers, de bons amis beuveurs entreront en grandes pompes et honneurs comme chevaliers. Et qu’étant en décente tenue, ventre libre, gousier sec et esprit clair, que les vaillantissimes candidats se présentent en ces lieux pour prendre engagement solennel. »

Les impétrants sont alors invités à se rapprocher de la table par groupe de quatre. Le héraut déroule alors un long parchemin et annonce à haute voix, les prénom, nom et qualité de chacun. Un de ses aides leur fixe un bavoir autour du cou. Invités par le Grand maître, ils jurent, en levant la main droite, de « vanter en tous lieux et en toutes circonstances le vin de Chinon ». Ce n’est qu’après ce serment, assez théâtral, qu’ils peuvent déguster un verre de ce vin qui, dit-on, est connu depuis la plus haute antiquité et que Rabelais aimait boire… sans modération semble-t-il.

 

Mariage des vin et des plats

Au cours du repas, un œnologue détaille chaque fois les qualités du vin et son mariage avec le plat présenté, exercice d’autant plus difficile que les vins de Chinon ne sont pas très typés. Petite bizarrerie, ils sont classés parmi les vins de Loire, alors qu’ils sont cultivés sur les deux rives de la Vienne. Il est vrai que la Vienne se jette dans la Loire, alors…

Ils se boivent en général jeunes. Il en est toutefois qui peuvent vieillir si, partant de raisins cultivés sur un sol argileux-calcaire, un soin particulier a présidé à leur élaboration et qu’ils sont conservés dans de très bonnes caves. Mais comme l’a déclaré un poète inconnu : « le Chinon reste un breuvage noble, équilibré, agréable à la bouche, joyeux à l’esprit et doux aux viscères, qui ressemble étrangement à la province qui le voit naître et grandir, cette Touraine, terre d’équilibre et de diversité. »

 

Excellente surprise

Alexandre Lagoya, sans doute le meilleur guitariste classique du XXe siècle, qui venait d’être lui-même intronisé, a proposé de jouer quelques pièces de son répertoire. Ce fut un pur moment de bonheur pour beaucoup. Hélas, pas pour ceux qui ne firent même pas l’effort d’abandonner pendant quelques instants leur fourchette et leur couteau, craignant sans doute que leur voisin ne leur dérobe leur part.

Les Bons entonneurs rabelaisiens, organisent tous les ans quatre chapitres d’intronisation :

en janvier, celui de la Saint-Vincent, le patron des vignerons ; en juin, c’est la fleur qui est honorée ; en septembre, la fin des vendanges et enfin en décembre, le chapitre de Diane.

Ces chapitres sont probablement parmi les plus pittoresques et les plus orthodoxes de France. Le cérémonial immuable ressemble à une grand-messe dite à François Rabelais.

 

Roger Peuron

(2006)

 

 

 

 

Alexandre Lagoya.

Né à Alexandrie le 29 juin 1929, décédé à Paris le 24 août 1999, ce maître et virtuose de la guitare classique arrive en France en 1950, pour parfaire ses connaissances musicales. Il rencontre la grande guitariste Ida Presti qu'il épouse et avec laquelle il forme le duo Presti-Lagoya qui devient le duo de guitares le plus important du XXe siècle. Après le décès tragique d’Ida Presti en 1967, Alexandre ne se produit plus en public. Il ne recommence que cinq années plus tard une intense carrière en solo avec de nombreux concerts et enregistrements.