Humour-Porter la culotte

Le combat du pantalon contre la robe est engagé depuis fort longtemps.

 

 

Chorégraphie par un groupe d'amateurs, place Pey Berland à Bordeaux(photo P. Guillot)
Chorégraphie par un groupe d'amateurs, place Pey Berland à Bordeaux(photo P. Guillot)

 

Carl Daferqeld, le célèbre créateur de mode, lance sa nouvelle collection de pantalons pour femmes. Farouche adversaire de la robe, il a fait appel pour cette soirée à un redoutable chantre du pantalon, Luigi Pantalone, le bien nommé. 

Luigi, descendant du Pantalone, personnage de la Commedia dell’arte, mène une lutte implacable contre la dictature de la robe. S’adressant à un parterre exclusivement féminin, il n’a pas failli à sa réputation.

Symbole de soumission 

« Depuis des siècles, le pantalon marquait le pouvoir, la robe, la vulnérabilité, la faiblesse. Les femmes seront longtemps prisonnières de décrets draconiens imposant la différence des sexes. Elles aspirent pourtant à sortir du carcan que sont ces robes corsetées, le port du pantalon peut leur donner ce moyen mais les Préfets multiplient les obstacles. Ainsi, le décret du 7 novembre 1800 exige un certificat de santé pour ce « travestissement ». Dès les années 1890, cavalières et cyclistes bénéficient de dérogations. Un pas est franchi aux États-Unis, quand Amélia Bloomer, cycliste renommée, lance le bloomer qui s’étendra à toutes les pratiquantes. 

Des femmes éprises de liberté vont adopter l’habit masculin et être les pionnières d’un rude combat contre l’oppression de la robe. Grâce soit rendue à George Sand, Rosa Bonheur, Colette, femmes au caractère bien trempé, car porter le pantalon est mal vu. On prête des mœurs dissolues aux « garçonnes ». En 1887, la première femme médecin, Madeleine Pelletier, intervient auprès des députés, en vain. Pendant la Première guerre mondiale, ouvrières et paysannes se substituent aux hommes et revêtent leur tenue, ce sera provisoire. En 1928, Coco Chanel prend le contre-pied de la mode stricte en portant le pantalon dans sa vie quotidienne. Et puis, Hollywood est touché, Greta Garbo, Marlène Dietrich, Katharine Hepburn arborent des smokings qui choquent les milieux puritains. Un véritable frémissement survient dans les années 1960 avec Courrèges et Yves Saint-Laurent mais ce n’est qu’à partir des années 1980 que le pantalon acquiert, enfin, ses lettres de noblesse. Pourtant, bien avant, en 1873, Lévi Strauss avait créé le blue-jean, on ne pressentait pas alors qu’il allait conquérir le monde. 

Mesdames, vous êtes indécises, l’abandon de la robe ne signifie pas l’abandon de votre féminité, au contraire, un pantalon de cuir met en valeur le corps et dégage sensualité, voire érotisme. Grande, petite, ronde, androgyne, les pantalons de Carl s’adaptent à votre morphologie pour un maximum de confort. Et puis, fortes de ce choix, vous pouvez enfin “porter la culotte” dans votre ménage. »

Le triomphe du pantalon 

« Nos efforts ont payé, les noms vulgaires le qualifiant, froc, falzar, grimpant ont disparu de notre vocabulaire, le pantalon est devenu l’étendard de la femme libre, il est désormais l’élément iconique du vestiaire féminin. À ce sujet, il faudra bientôt débaptiser la garde-robe, ce sanctuaire envahi par jeans, pantalons et autres leggins. Tout ne fut pas facile, le décret préfectoral paru en 1800 n’a été abrogé qu’en… 2013. Les hôtesses de l’air ont attendu 2005 pour délaisser les austères tailleurs. N’oublions pas que dans certaines régions du monde, le pantalon reste interdit à la femme. Chez nous, il s’est installé démocratiquement dans les écoles, les entreprises, l’administration, l’Assemblée nationale, rapprochant chaque jour un peu plus la femme de la parité. Des zones d’ombre subsistent, l’événementiel constitue encore un obstacle à son essor, les robes de soirée, les robes de mariée entretiennent toujours des mythes désuets. Et puis, un virus saisonnier resurgit tous les ans avec les pimpantes robes printanières et estivales. Ce ne sont que les soubresauts spasmodiques d’une lente agonie de la robe. Je vous laisse admirer les superbes créations de Carl, constater combien leur coupe étroite magnifie la silhouette de nos mannequins. Ce sera un plaisir pour vous de vous glisser dans ces pantalons de rêve, et ce n’est pas une pantalonnade ! 

Oui, je suis fier de Pantalone qui a donné son nom à ce beau vêtement, et si je vous révélais un secret de Polichinelle, Arlequin m’a confié récemment que Colombine portait admirablement le jean. » 

Claude Mazhoud