Faites-moi signe

La chorégraphie des gestes, utilisée dans la langue des signes, laisse sans voix.

 

Lorsqu'on est témoin, dans la vie quotidienne, d'une discussion entre des personnes utilisant la langue des signes, on est intrigué voire fasciné par la véritable danse des mains et la gestuelle des corps qui les accompagne.

Socrate disait déjà « Si nous étions privés de langue et de voix, et que nous voulussions nous désigner mutuellement les choses, ne chercherions-nous pas à nous faire comprendre, comme les muets, au moyen des signes de la main, de la tête et de tout le corps ? »

 

Se faire entendre

L'association de recherche pédagogique pour adultes sourds (ARPAS) à Bordeaux a pour objet de « promouvoir tout axe de réflexion et de recherche sur les contraintes et les difficultés rencontrées au quotidien par les personnes sourdes ». Marie-Hélène Bouchet¹, Yvette Duroux et Philippe Legouis qui en constituent le bureau, avec Francine Bourguinat, Présidente, ont enseigné dans les institutions pour sourds, obligés, dans leur environnement professionnel, de pratiquer l'oralisation avant de pouvoir utiliser la langue des signes. Ils témoignent de leur engagement et des difficultés qu'ils ont rencontrées, mais aussi de leur enthousiasme et des innovations qui ont ponctué leur trajet professionnel : ateliers marionnette, enseignement préprofessionnel, pédagogie institutionnelle, recherches historiques et linguistiques. Aujourd'hui, il existe un CAPES de langue des signes qui peut être prise en option au baccalauréat.

« Chaque personne a un signe local attribué par la communauté des sourds : si vous portez des lunettes, vous serez « lunette » avec le signe qui le représente, cheveu frisé ? Vous serez « bouclette », etc. Mais cette nomination peut changer d'un groupe à l'autre.

La communication en langue des signes se fait certes par les mains. Le visage pour l'expression des sentiments et la gestuelle du corps pour situer l'action dans l'espace et le temps sont aussi importantes. Avantage de la langue des signes ? Pouvoir communiquer dans un environnement hostile et bruyant, ou bien... à distance !

Oraliser et/ou signer

Depuis l'Antiquité, une querelle existe entre les oralistes et les signants comme moyen de communication pour les sourds. Vers 1760, l'Abbé de l'Épée s'oppose à J. R. Péreire, un partisan de l'oralisation. L'Abbé de L'Épée considère que l'énergie qui est mise en œuvre pour acquérir l'articulation de la parole est utilisée au détriment de l'acquisition d'autres connaissances. En 1771, il crée la première institution éducative gratuite pour les sourds de France à Paris. Dès lors, les deux méthodes cohabiteront.

Mais au congrès de Milan, en septembre 1880, congrès pour l'amélioration du sort des sourds-muets, « considérant la supériorité de l'articulation sur les signes pour rendre le sourd-muet à la société et lui donner une connaissance plus complète de la langue, la méthode orale est préférée à celle des signes dans l'éducation et l'instruction. »Les pays anglo-saxons n'adoptent pas les conclusions du congrès. La méthode orale est appliquée dès la rentrée d'octobre 1880 en France.

 

Ce véritable acharnement orthopédique et éducatif sur des générations d'enfants malentendants aura des conséquences irréversibles : baisse des acquisitions scolaires, exclusion sociale, précarité. De fait la langue des signes perdure en particulier dans les activités sportives et récréatives. On comprend mieux le combat militant d'Emmanuelle Laborit, pourtant oralisée, de promouvoir la langue des signes.

 

Actualité

En 1978, la langue des signes est « non interdite » et en 1991, la France reconnaît le droit au bilinguisme. La loi du 11 février 2005² a mis fin à l'obligation de la langue orale.

Paradoxalement, le principal obstacle au développement de la langue des signes est l'application de cette loi car elle privilégie une intégration individualisée alors que pour faire langue il faut une communauté de personnes.

Malentendant ? Était-ce c'est mal ? demandait Emmanuelle Laborit.

 

Jean-Louis Deysson 

¹ Louise Walser, la Jeanne d'Arc des sourds-muets Marie Hélène Bouchet. Editions du Fox.

² Loi de l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

 

Conférence...de concert. Intervention de Claude Ribéra-Pervillé sur Rodrigues Péreire, pionnier de l'éducation des sourds. (photos de D. Sherwin-White)