Des chaussures de rêve

Dans un monde de produits standardisés, rapidement obsolètes et importées d’Asie, Paul Schiegnitz a fait le pari de fabriquer et de vendre à Bordeaux des chaussures sur mesure.

 

Un atelier-boutique aux Chartrons, rue Lagrange, un site internet, le bouche à oreille et la fidélité de ses premiers clients permettront-ils à Paul de vivre de son métier ?

(photos de M. Depecker)

 

5 mois de gestation

Vous souhaitez réserver à vos pieds le plus grand confort, vous rêvez de luxe ou vous avez un pied hors normes, alors rendez-vous dans l’atelier de Paul, le seul fabricant de chaussures sur mesure à Bordeaux et dans la région.

Et c’est le début d’une longue histoire : l’artisan prend, dans une première étape, les mesures de votre pied pour en faire le dessin. Selon vos goûts et vos besoins, en discutant avec lui, vous choisirez un modèle parmi ceux qu’il dessine lui-même, celui de votre imagination ou la reproduction d’un modèle ancien, tout est possible dans la création. Puis, seul dans l’atelier, Paul sculpte une forme, réplique en bois du pied en rabotant une forme brute qu’il achète dans une entreprise allemande (la tradition pure voudrait qu’il la modèle dans un bloc de bois brut mais il faut réduire le temps de fabrication). Dans de petits casiers, sont stockées les formes de tous ses clients.

C’est ensuite la confection du patron et le découpage de toutes les pièces de cuir ou de tissus avant la fabrication des chaussures d’essai puis de la paire définitive. Paul recherche la qualité parfaite dans l’exécution. À côté des tâches très manuelles comme le dessin et la réalisation de la forme, machines à coudre, presse, meuleuses permettent de l’atteindre. Entre le premier rendez-vous et la livraison, il peut s’écouler 5 mois ; « Je fais un  produit atypique » dit Paul. Notre mode de vie actuel peut-il s’accommoder de cette longue attente ?


Une passion venue avec la réussite

Paul, berlinois d’une trentaine d’années, a vécu dans une ambiance où l’art avait une grande place mais ce n’est pas un héritier : son père est luthier, sa mère aussi mais elle exerce comme artiste peintre. Après le bac, que faire ? Pourquoi ne pas tenter un apprentissage chez un schumacher* qu’il rencontre un peu par hasard. Il aime le travail manuel et se dit qu’il pourra toujours reprendre des études universitaires si le métier ne lui plait pas. Au bout de trois ans, il obtient le titre de meilleur apprenti et une bourse pour compléter sa formation dans une école de designer artisanal à Aix-La-Chapelle. Il y obtient son brevet de maître artisan. La réussite de ses études et de ses projets d’école lui donne confiance et nourrit sa passion du métier. Diplômes en poche et amoureux d’une bordelaise qu’il rencontre à Berlin et qu’il épouse, il apprend le français et décide de vivre et travailler à Bordeaux plutôt qu’à Paris, « ville du luxe, mais ville plus dense et stressante que Berlin, je peux à peine passer dans les portes du métro » dit-il en souriant. Il a un coup de cœur pour Bordeaux.

Installé de 2011 à 2013 dans la petite pépinière d’artisans de Sainte-Croix, il a maintenant son propre atelier rue Lagrange.

 

Le prix de la qualité

Ce sont plutôt les hommes qui se laissent séduire par les belles chaussures réalisées à la main. Les femmes y viennent aussi mais elles aiment changer, suivre la mode et la fabrication des chaussures féminines demandent encore plus de travail (notamment à cause des talons). Essentiellement en cuir, il faut des peaux de qualité que Paul achète à Cholet ou en Italie pour le corps de la chaussure et en Allemagne pour les semelles. Les fournisseurs se font rares car cette industrie a presque disparu en Europe. Ses chaussures sont dessinées et fabriquées de A à Z dans son atelier, elles sont réalisées avec de belles et douces peausseries pour le bien-être et l’élégance du pied. Leur prix est nécessairement élevé. Il faut compter entre 900 et 1 500 euros la paire. Paul compte encore sur ses premiers clients allemands fidèles. Et il se donne 5 ans pour séduire plus de clients bordelais, pour faire fructifier son art, encore trop confidentiel.

 

Marie Depecker