Autour du pied

Évoquer avec insistance le pied peut paraître étrange, voire vulgaire, l'histoire qui suit prouverait le contraire.

José, pied-noir pure souche, a toujours gardé les pieds sur terre, il va pourtant vivre l'enfer, car le thème lancinant du pied prendra une place démesurée dans son existence, son récit est édifiant.

 

Colosse aux pieds d'argile

« Mon père raillait mes pieds plats et en oubliait son pied bot, je n'arrivais décidément pas à la cheville de cet homme rude, aux mains noueuses comme un pied de vigne. Quand je ratai lamentablement mes études de podologie, il décréta  souverainement que j'étais bête comme mes pieds, il me fallut donc, adulte, attaquer la vie pied au plancher.

Le déclic fut la lumineuse rencontre avec Ava, ma comtesse aux pieds nus, j'avais enfin trouvé chaussure à mon pied, je lui offris un bouquet de pieds-de-veau, ces fleurs plus connues sous le nom d'arums, elle était belle à croquer, je la dévorai de la tête aux pieds avant de lui faire du pied. Elle céda rapidement et m'accueillit dans son pied-à-terre de plain-pied, au pied du lit, ce fut vraiment le pied, je ne pouvais plus mettre un pied devant l'autre. Ava fit des pieds et des mains pour m'amener au mariage, là elle me coupait l'herbe sous les pieds, j'aurais tant voulu être à cent pieds sous terre, être remplacé au pied levé, hélas, nul ne me tira l'épine du pied.

La comtesse m'attendait de pied ferme et me mit au pied du mur, je perdis pied et acceptai de convoler, pieds et poings liés que j'étais. Généreuse, elle m'habilla de pied en cape, m'offrant même un superbe costume pied-de-poule. Nous vivions sur un grand pied lorsque l'horizon s'obscurcit, quand je me levais du bon pied, elle se levait du pied gauche, ses opinions prenaient le contre-pied des miennes, je ne savais plus sur quel pied danser, que de pieds au c. se perdaient, ce fut le pied de guerre.

Allais-je me laisser marcher sur les pieds ?

Je la quittai, jurant de ne jamais remettre les pieds à la maison, ça lui ferait les pieds ! »

Roger Hanin, un pied-noir bien connu

Un José petit pied

« Un beau jour, craignant de finir dans la rue comme un va-nu-pieds, je lâchai pied et, foulant au pied tous mes principes, c'est en traînant les pieds que je renouai avec Ava. Tout se détériora très vite, prétextant la parité, elle m'imposa les travaux ménagers pour être sur un pied d'égalité. Caractérielle, elle prenait tout au pied de la lettre, méchante et moqueuse, m'adressait des pieds-de-nez, elle mettait souvent  les pieds dans le plat en retombant toujours sur ses pieds. J'en avais marre de faire le pied-de-grue dans l'attente de jours meilleurs mais j'eus beau lutter pied à pied, travailler d'arrache-pied pour conserver bon pied bon œil, elle restait de marbre la froide Ava.

Le monde de l'entreprise s'en mêla, mon patron dont je n'étais de toute évidence pas la cheville ouvrière, me jugeant à pied d'œuvre, trouva que je ne mettais pas assez le pied à l'étrier, que je maniais sans conviction pied de biche, pied de chèvre et pied à coulisse, en un mot que je travaillais comme un pied,  il me mit sèchement à pied, me réduisant au rang de pied nickelé, j'étais dans mes petits souliers.

Traumatisé, je mis sur pied mon suicide en optant pour la noyade, certes, je n'avais pas le pied marin et paniquais dès que je n'avais plus pied, pourtant, désespéré, je plongeai la tête la première et les pieds joints dans cette paisible rivière que je traversais à pied sec en été.

On me sauva de justesse alors que j'avais presque un pied dans la tombe et, à mon corps défendant, la faculté me remit sur pied.

Cette leçon de vie fut capitale, je décidai de rompre irrémédiablement avec la comtesse, de lever le pied et de tourner carrément les talons à mon passé.

Je suis parti sans remord, bien sûr... à pied.

Et depuis, j'ai rencontré Berthe, vais-je me brouiller avec la voûte céleste pour une histoire de voûte plantaire ?

Car Berthe a vraiment de grands pieds... ça nous fait une belle jambe ! »

 

Claude Mazhoud