La fabrique à tissus

Photos archives Poïetis

La seule entreprise mondiale à créer du matériau vivant, via l’impression assistée par laser, est installée à Pessac.

 

C’est en 2014 que deux chercheurs Fabien Guillemot et Bruno Brisson fondent Poïetis dans le Bioparc de la Métropole bordelaise : elle fabrique des tissus biologiques grâce à une technique avant-gardiste de bio-impression qui reproduit la complexité du vivant. Le champ des applications est infini et commence tout juste à être exploré.

 

La rencontre

En 2005, Fabien Guillemot est chercheur au département de bio ingénierie Biotis de l’INSERM* de Bordeaux. Il y met au point une imprimante qui va révolutionner la fabrication du tissu vivant jusque-là assurée à la main par une technique conventionnelle de dépose d’amas de cellules avec une seringue sur un milieu nutritif. Avec son imprimante, le chercheur assure une reproduction cellulaire standardisée et viable. En 2009 le succès de la réparation de boîtes crâniennes de rats lui permet d’étendre sa découverte à l’homme. Bruno Brisson, spécialiste en biotechnologies, le rejoint en 2014 : leur entreprise s’appellera Poïetis en référence au grec poïésis : fabriquer, créer, transformer des idées en réalité.

 

10 000 gouttes par seconde

L’innovation spécifique de l’entreprise de Pessac est l’assistance du laser qui, réfléchi par un miroir, traverse un substrat de cellules (la bio encre), en extrait une goutte microscopique et la dépose suivant un motif qui sera le « patron » du tissu à reproduire. Cette dépose d’une précision totale peut aller jusqu’ à 10 000 gouttes par seconde. Le modèle ainsi créé, couche à couche, deviendra de la peau complexe avec tous ses constituants, après maturation d’environ trois semaines. L’expérimentation est en cours à l’hôpital Saint-Louis à Paris dans le service des grands brûlés. La fabrication de tissus lésés servira aux expérimentations in vivo hors animaux et aboutira bientôt à des candidats médicaments. La dernière génération d’imprimante introduit une dimension supplémentaire, le temps, et permet alors de prévoir la future différentiation du tissu. En janvier 2018, le premier succès de Poïetis est la mise sur le marché d’un tissu de peau totalement humaine Poieskin®

 

Partenariats décisifs

L’entreprise pessacaise a noué des partenariats avec des acteurs économiques majeurs : BASF est le premier en 2015 suivi de l’Oréal en 2016. Elle s’oriente alors vers la cosmétologie par production d’un follicule pileux capable de produire des cheveux (aussi difficile à reproduire qu’une oreille). Le projet est en bonne voie. En juin dernier, l’Université de Louvain s’engage pour 2 ans avec Poïetis pour entrer dans un processus de thérapie innovante : il s’agit d’imprimer des petits agglomérats de cellules de cartilage qui pourraient être implantés chez des patients atteints de maladies osseuses. Pour Poïetis, c’est la première approche clinique du patient avec ses contraintes réglementaires. Enfin, en septembre dernier, le laboratoire Servier signe, pour plusieurs années, un partenariat dans le développement de tissu hépatique afin de détecter les effets secondaires des médicaments souvent graves au niveau du foie, partenariat qui ouvre d’immenses perspectives. Prochaine étape : les essais cliniques d’ici cinq ans.

 

Une flopée de récompenses

Lauréate 2 ans de suite du Concours mondial de l’innovation, Poïetis a été élue en octobre dernier start-up de l’année 2018, catégorie Jeune pousse au trophée « PME Bougeons-nous » organisé par la radio RMC. Cette entreprise du futur a déposé 8 brevets internationaux et dispose d’un fort potentiel d’embauche : déjà forte de 34 collaborateurs, elle veut rester centrée sur l’humain et garder une démarche totalement éthique dans toutes ses missions en restant hors des grands groupes des sciences de la vie à buts plus lucratifs que médicaux.

 

Édith Lavault

 

 

 

* Institut national de la santé et de la recherche médicale