Conflit d'eaux

Au fil des ans, les meuniers ont façonné le paysage des rivières pour exercer leur activité : à la découverte des moulins à eau, un patrimoine en danger.

Le Moulin Blanc sur la Jalle de Blanquefort( photo J.L. Deysson)

Bordeaux rive gauche, cinq rivières, entre Médoc au nord et plaine des Graves au sud, confluent vers la Garonne : la Jalle1 de Blanquefort, la Devèze, le Peugue, l’Eau Bourde et l’Eau Blanche.

Elles ont toutes été aménagées afin d’y implanter des moulins à eau. Dans le Médoc, elles permirent de drainer les terres humides et firent des meuniers, de véritables gestionnaires des eaux. Mais le projet de loi Climat prévoit l’effacement des seuils des moulins, faut-il les démolir pour permettre aux poissons de frayer ?

 

 

Avancée industrielle

Dès le II ͤ siècle avant J.C., les hommes utilisent la force de l’eau pour faire tourner les roues des moulins. On en comptera des milliers au XIII ͤ siècle. « Le geste ancestral de la femme écrasant le grain pour le réduire en farine s’accomplit désormais mécaniquement. La femme fut à l’époque féodale la première bénéficiaire de cette amélioration apportée à la vie domestique rurale. », nous rappelle Régine Pernoud2. Les moulins à eau servent principalement à l’alimentation en broyant le blé pour faire de la farine. Le commerce des blés et farines a été une part considérable de l’activité commerciale de Bordeaux au XVIII ͤ siècle. Mais les meuneries de proximité arrivent à peine à répondre à la demande. L’implantation des Moulins de Paris à Bordeaux, en 1924, a donné le coup de grâce aux petites minoteries.

Deux métiers sont indissociables de l’activité de ces moulins : le meunier qui transforme le grain en farine et le menuisier dont la spécificité est de fabriquer des roues à aube, meules et blutoirs3.

 

 

Derniers témoins

On a répertorié près de 75 sites de moulins en 2010. Beaucoup sont en ruine, délabrés, abandonnés. Il existait autrefois, sur l’Eau Bourde, huit moulins à eau aux activités très diversifiées : fabrication de cannes de parapluie au Moulineau, lavage des peaux de mouton, fabrique d’obus pendant la première guerre mondiale à Monjous, métiers à tisser et carder à Ornon, fabrication de pains de glace à Montgaillard, charpente et parquet à Poumey. Ces activités cessèrent au milieu du XXe siècle. Seul le moulin de Cayac a servi jusqu’au début du XXe siècle, mais uniquement à la mouture des grains. Sur la Jalle de Blanquefort, moulin Blanc, blanc comme la farine de blé et moulin Noir, noir comme la farine de seigle, alimentent en eau les zones maraîchères d’Eysines. À Pessac, toutes les activités installées sur le Peugue n’étaient pas forcément compatibles. Blanchisseuses et teinturiers, utilisant les eaux de la rivière, celles-ci arrivaient au centre de la ville très polluées. Le Peugue accueillait aussi des cressonnières. De la ferme expérimentale créée en1823 pour gagner des terres cultivables et les mettre en valeur avec des cultures céréalières, le moulin de Noès est le dernier témoin.

Plus caché et moins connu, situé rue du Mascaret à Belcier derrière la gare de Bordeaux, on devine les contreforts d’un moulin. énigmatique celui de Sainte-Croix qui disparaît lors de leur recensement après la Révolution de 1789. Quant au moulin de marée de Teynac aux Chartrons, il resta au niveau d’un projet non achevé, vu son coût pharaonique.

 

Débats passionnés

Un moulin est-il un obstacle à la libre circulation des poissons ? Au moulin de Gajac, les anciens racontent que les anguilles montaient le long des murs pour franchir le mécanisme de la roue à aube. Les députés viennent de sauver les moulins à eau, accusés de tuer les poissons, en limitant leur destruction. « Personne n’a envie de tuer les moulins » assure la ministre de la transition écologique, Barbara Pompili. Il est urgent d’aller découvrir ces vestiges du passé

Jean-Louis Deysson.

 

¹Jalle : nom donné au cours d’eau en Médoc.

2Régine Pernoud La femme au temps des cathédrales 1980.

 

3blutoir : sorte de grand tamis.