Ames qui vivent

Une rue du village de Castelmoron

L’histoire de Castelmoron d’Albret se lit à travers ses vieilles pierres mais pas seulement : surgissant d’un passé tragique, des âmes errantes s’y baladent, affirment certains médiums.

 

 

 

En cet après'midi de septembre, le minuscule village de Castelmoron d’Albret est presque désert. Seule, une femme se promène. Elle semble à la recherche de quelque chose. La discussion s’engage. Elle dit être passeuse d’âmes : elle vient délivrer quelques-uns des nombreux esprits dont elle affirme qu’ils sont encore emprisonnés là. Aujourd’hui charmant, le lieu a, en effet, été le théâtre de nombreuses guerres et tueries.

 

Vingt-huit maisons

Castelmoron d’Albret tient en un mouchoir de poche : une placette, quatre rues. Sa surface de 3,54 hectares, la moitié de la place Charles de Gaulle, fait d’elle la commune la plus exiguë de France. Si des âmes y restent encore enfermées, comme nous l’a révélé notre mystérieuse interlocutrice que nous avons laissée à ses cogitations, c’est bien parce que son passé a été tumultueux.

Pour les chercheurs, l’occupation humaine est antérieure à l’époque gallo-romaine. Les envahisseurs se sont succédé. Au troisième siècle, les légions romaines, au IXe siècle, les Maures qui détruisent le village. Un siècle plus tard, un château fortifié est construit, le village devient un castrum.

 

 

Passé tumultueux

Mais au XIVe siècle, Castelmoron, intégré à la maison d’Albret, est cette fois détruit par les Anglais au début de la guerre de Cent ans. Deux siècles plus tard, Mazarin ordonne le comblement des fossés, il reste alors vingt-huit maisons en ruine. Les malheurs continuent, après la révocation de l’édit de Nantes, avec des dragonnades qui sèment la terreur. À l’aube de la Révolution, une nouvelle levée d’impôt entraîne une révolte paysanne qui conduit au saccage de la sénéchaussée. Le village est alors amputé de ses terres alentour. Pendant la période révolutionnaire il s’est appelée Castel-Marat.

Au XIXe siècle, les milieux scientifiques et artistiques s’intéressent à la commune ; l’archéologue Léo Drouyn étudie alors le site médiéval. En 1973, il est inscrit à l’inventaire des sites pittoresques de Gironde.

 

Vers la lumière

Il va de soi que toutes ces luttes, ces guerres, ont occasionné bien des morts violentes. Ce qui pourrait expliquer que des âmes en déshérence errent encore là. « Le postulat de base est la croyance en l’existence de l’âme » confie Sylviane Merlet, 50 ans, médium qui a pignon sur le net et se présente comme « magnétiseuse, géobiologue, coupeuse de feu, passeuse d’âme ». Un don qu’elle a découvert très tôt. « Il remonte à l’enfance puis à l’adolescence : j’étais visitée toutes les nuits. J’étais hypersensible et ça me faisait très peur. En grandissant j’ai compris que ce rôle de passeuse d’âme s’imposait à moi. »

Sylviane Merlet, qui avoue « n’avoir aucune religion », confesse une foi en l’existence d’esprits retenus sur terre : « il arrive que, suite d’une mort brutale, l’âme ne comprenne pas que l’individu qu’elle habitait ne soit plus ; elle rate donc son départ vers la lumière. Ou alors elle ne peut se défaire de son amour pour un vivant dont elle va utiliser l’énergie pour rester avec lui mais cela va lui occasionner d’inexplicables fatigues. »

C’est là que la passeuse intervient grâce, dit-elle, « à l’existence d’un principe de résonance magnétique » qui (lui) permet d’entrer en communication avec les âmes prisonnières et de les libérer dans l’au-delà ».

On peut sourire. Reste que cette idée du passage a traversé les âges. On trouvait déjà ce thème dans la mythologie grecque avec le personnage de Charon qui transportait les âmes des morts d’une rive à l’autre du Styx.

 

On est bien loin d’un bel après-midi à Castelmoron. Ce n’est pas une raison pour broyer du noir ; le village est charmant, délicieusement hors du temps et les âmes retenues n’y ont, à notre connaissance, occasionné aucun mal.

 

Par Danièle Gardes et Jean-Paul Taillardas