Dans la peau de Jeanne

 

Jeanne d’Arc, héroïne nationale, brûlée vive le 29 mars 1431, ne pouvait disparaître à tout jamais. Plus de 500 ans après, le phénix renaît de ses cendres, Jeanne revit sous les traits d’une prometteuse comédienne.

 

 

Tout semble sourire à Mireille, belle actrice des années 1960, à la notoriété grandissante. Pourtant la jeune femme paraît habitée par une indicible nostalgie, elle évoque souvent un mystérieux passé médiéval, de quoi inquiéter ses proches. De guerre lasse, Mireille témoigne.

 

Immense popularité

« Mes compagnons m’appellent “la dame de fer”, surnom dû au lourd harnachement revêtu au combat, flamberge au vent. Plus tard, on accordera ce sobriquet à une haute personnalité britannique, ce point commun a le don de m’irriter. À ceux qui brocardent ma tenue, je dédie cette parole d’Aragon : “La femme est l’avenir de l’heaume.” Mon entrée dans ce monde nouveau s’avéra délicate, songez qu’il m’a fallu un demi millénaire pour passer sans transition de Charles VII à Charles de Gaulle, des preux chevaliers aux Chevaliers du Fiel, de la cotte de mailles à la robe Guy Laroche. Ancienne patronne des armées, je découvre un univers où les hérauts semblent plutôt fatigués. Je laisse loin derrière moi Reims et la cérémonie du sacre, les batailles libératrices, l’an 1429 et Orléans reconquise, malgré Talbot, l’homme de guerre anglais, à qui je mis la pâtée à Patay. Béatifiée, puis canonisée, je suis extrêmement populaire. De nombreuses statues équestres me représentent. Littérature, musique me célèbrent et Michèle Morgan, Ingrid Bergman, Jean Seberg m’incarnent à l’écran. Hélas, certain parti politique s’est emparé abusivement de mon nom. »

 

Anglophobie tenace

« Michel Audiard m’a affublé de ce surnom “La grande sauterelle”. Le cinéma me sollicite énormément, mais le bûcher de Rouen reste dans ma mémoire, alors je refuse de tourner des films Cauchon. Accepter un rôle dans Il n’y a pas de fumée san feu d’André Cayatte fut certainement une maladresse.

Ce métier va engendrer une belle rencontre, celle avec Alain, également comédien. Très vite il a su fendre l’armure, déceler la faille de ma cuirasse. Pauvre Alain qui croit serrer la grande sauterelle dans ses bras quand c’est peut-être Jeanne la pucelle qu’il étreint. Certaines de mes attitudes le déconcertent, comme éviter la promenade des Anglais, lors d’un séjour à Nice. Ô Niçois qui mal y pense ! Mais aussi bouder une initiation au cricket, sport typiquement britannique, un criquet peut-il séduire une sauterelle ? Alain est surpris quand je m’enthousiasme pour une sorte de jeu de paume à Roland Garros, alors que Wimbledon m’est hermétique. Il n’a pas remarqué le regard attendri que je porte sur les mâchicoulis, donjons et autres courtines de vénérables châteaux forts. Mon refus total des rôles shakespeariens au théâtre désole mon compagnon. Quand Alain se plaint parfois de la lourdeur de l’impôt, je lui oppose la gabelle, il rit devant mes histoires de gros sel. »

 

Retour aux sources

« Nous partons en amoureux pour un circuit insolite : Rouen, Orléans, Reims, Domrémy. Alain a dû changer de voiture, devant mes réticences à monter dans sa Talbot. Nous atteignons la Lorraine le jour de la fête de Jeanne d’Arc, nous buvons une cervoise dans une taverne de Vaucouleurs où mes pensées vont à Robert de Baudricourt, gouverneur du Roy. Dans la campagne où quelques serfs paraissent attachés à la glèbe, Domrémy se précise. Il pleut des hallebardes, dans la grisaille, mon cœur bat la chamade quand j’aperçois la maison natale de Jeanne transformée en musée Jeanne d’Arc. Soudain mon sang se glace, car là, devant la bâtisse, stationne un imposant car de touristes anglais. Une colère noire m’envahit et voilà que les voix reviennent : ”Jeanne, boute les Anglais hors de France !” Aucune épée, aucune arquebuse pour châtier les félons, en un éclair le titre d’un de mes films me revient Ne nous fâchons pas. C’est alors qu’un homme étrange s’approche de moi, a-t-il lu une lueur meurtrière dans mon regard ? Sa voix retentit “Patiente, Jeanne, un jour viendra le Brexit, ainsi parla Nostradamus.” Qui suis-je vraiment : Jeanne, Mireille ? »

Désemparée, toute honte bue, battant sa coulpe, Mireille Darc file… à l’anglaise.

 

Claude Mazhoud