L'indicible

Dans une société française de plus en plus secouée par les affaires de violences sexuelles, physiques ou morales les psychiatres se retrouvent en première ligne.

Pour ce symbole du "non-dit", il reste un long chemin à parcourir

D’un cabinet de psychiatrie. C’est souvent le dernier recours quand toutes les autres pistes se sont refermées et qu’il reste seul avec son mal-être, ses doutes, ses questions. Parfois aussi, hélas, lorsqu’il a été maltraité par les instances sensées le protéger. Une jeune psychiatre libérale, pratiquant dans la banlieue bordelaise, nous parle de la loi du silence, du secret médical.

 

-— L’Observatoire : Pourquoi cette pratique du silence ?

— La psychiatre : La loi du silence s’impose en premier lieu à la victime qui craint d’être confrontée de nouveau à son agresseur, de devoir répondre, elle aussi, de certaines choses au moment d’un éventuel procès ou encore à cause de la pression exercée au sein de la cellule familiale - notamment dans les cas d’inceste. Nombreux aussi sont les individus qui se battent contre leurs démons, sans jamais passer à l’acte. Ne pouvant en parler autour d’eux, ils peuvent être amenés à chercher de l’aide auprès des professionnels pour tenter de diminuer leur souffrance.

 

— Qu’en est-il des agresseurs ?

— Parfois, mais rarement, un agresseur passé à travers les mailles du filet, pousse la porte du cabinet d’un psychiatre. Le plus souvent ce sont des révélations familiales qui ont provoqué chez lui des questionnements. Avec un peu de recul et beaucoup de culpabilité, il recherche alors une aide pour tenter de comprendre comment il a pu en arriver là. Sans ces révélations, il est peu probable qu’il eut fait la démarche.

 

— Comment le médecin réagit-il face à de telles révélations?

— Le professionnel doit toujours se demander : « Que dois-je faire vis-à-vis de la loi et que puis-je faire ? ».  Il doit au préalable qualifier l’acte : délit ou crime ?

La loi ne fait pas obligation de dénoncer un délit, le secret professionnel s’impose, sauf s’il y a risque de récidive ou de passage à l’acte. S’il s’agit d’un crime, l’article 226-14 du code pénal1 s’applique sans hésitation.

Mais il n’est jamais évident pour un médecin libéral de rédiger une information préoccupante2 ou un signalement, car le risque de représailles existe.

Le seul appui, les seuls conseils dont il va pouvoir profiter viennent du Conseil de l’Ordre.

Toutefois au moment de prendre la décision finale, il sera seul. Et s’il n’est jamais facile pour un professionnel de prendre ce type de décision, bien qu’il y soit sensibilisé, on comprend mieux le désarroi d’un citoyen lambda face à un tel conflit intérieur.

 

— Est-ce plus facile en milieu hospitalier ?

— Bien-sûr, la décision est plus collégiale, plus facile à prendre, notamment dans les cas de maltraitances infantiles avec pour conséquence le placement des enfants.

 

— Quel est votre regard sur l’affaire Joël Le Scouarnec3 ?

— Cela n’a pas de rapport avec le secret médical, on est plus dans une forme d’omerta. Un de ses confrères avait signalé sa condamnation pour détention d’images pédopornographiques.

On savait, on soupçonnait mais sans dénoncer clairement. Ça peut être une histoire de réputation de l’établissement, c’est terrible, mais...

D’un autre côté ce n’était pas à son employeur de le juger. Toutefois on aurait pu, on aurait dû être plus vigilant.

Aujourd’hui la confraternité est beaucoup moins présente dans les hôpitaux.

Les administratifs ont pris les commandes et on constate un détachement par rapport à la pratique et au patient qui n’est plus au cœur du système. Cela est aussi vrai dans d’autres institutions, et ça ne va pas en s’arrangeant. »

Alain Laffitte

 

1 Loi n°2021-1539 du 30 novembre 2021– art. 41

2 La loi n° 2007-293 du 5 mars 2007 introduit la notion d’information préoccupante pour renforcer la prévention, améliorer le dispositif d’alerte et de signalement et diversifier les modes d’intervention auprès des enfants et de leur famille.

 

3 Chirurgien accusé de viol et d'agression sexuelle sur plusieurs personnes dont des enfants, condamné à 15 ans de réclusion criminelle.