Je m'appelle Garonne

Espagnole de naissance, je serpente depuis les Pyrénées jusqu’à Ambès et mesure 575 km. Rio Garona est mon nom d’origine.

Je roule sous le pont canal à Agen (D. Scherwin-White)
Je roule sous le pont canal à Agen (D. Scherwin-White)

 

Ma vie amoureuse fut agitée dès l’adolescence. Flirts à droite et à gauche : Ariège, Save, Gers, Baise, Tarn et Lot. Coup de foudre avec la Dordogne. De cette union purement féminine, naquit mystérieusement notre fille Gironde. Elle nous tourna le dos au bout de 75 km pour se jeter dans les bras de monsieur Océan.

Quelle vie sur mes rives ? Dans quel décor ?

 

Débordements et caprices

De nature capricieuse, tantôt je me dessèche, tantôt je déborde sur mes rives, envahissant les maisons du voisinage. Les habitants doivent me maudire de Toulouse à La Réole, en passant par Aiguillon, Tonneins et Marmande. Je pénètre dans deux grandes villes, Toulouse et Bordeaux. Dans Agen, la capitale du pruneau, je suis enjambée par mon cousin le canal qui me longe sur 193 km de Toulouse à Castets. Il est très calme. Je l’envie pour ses visiteurs qui se promènent en pénichette. Je me console car l’été, les Toulousains s’allongent sur ma plage et se baignent voluptueusement dans mes eaux. Claude Nougaro célébrant Toulouse évoque avec nostalgie, « l’eau verte du canal du Midi ». Quand il chante « Un torrent de cailloux roule dans ton accent. Ta violence bouillonne... », il pense sans doute à moi et à l’accent de la langue d’Oc.

 

Le décor de mes rives

Une rangée d’arbres borde mes berges dans toute ma vallée. Micocouliers, pistachiers, mimosas, figuiers, plaqueminiers, bananiers décorent et parfument mes berges les plus abritées. Au XIXe siècle, arrivèrent les palmiers d’Algérie. Dans la partie pyrénéenne, pâturages et prairies laissent encore un ruban d’aulnes et de frênes en bordure ou sur mes îles. De Boussens à Toulouse, les cultures interrompent par endroit ce liseré boisé. Puis, mon lit s’élargit et côtoie peupliers et vergers. De Bordeaux au bec d’Ambès, il n’y a pratiquement plus de boisement sur mes rives. De l’Entre deux Mers au Lauragais, les paysages traversés font penser à l’italienne Toscane. Les deux capitales régionales occupent chacune une courbe de mon chemin sinueux. Elles prennent la forme d’une demi-lune tournée vers l’est pour Bordeaux et son port de la lune. À Toulouse, l’orientation est à l’ouest et pour l’ambiance musicale, la guinguette La plage, à 20 mn de la ville, offre au clair de lune, des chansons réalistes sur fond d’accordéon.

 

Eaux, lune et soleil

On ne va plus « à Garonne » comme au temps des saumons, esturgeons, des moulins, bateaux-lavoir et bateaux-vapeur. Mes eaux contribuent à la fabrication de pâte à papier à Saint-Gaudens, aux industries toulousaines et bordelaises. Une dizaine de villes puise en moi leur eau d’alimentation. Quatre départements ne pourraient sans moi, irriguer leurs 60 000 ha de maïs et vergers.

Au couchant, Bordeaux a les rives d’un grand fleuve aux allures africaines, un port qui drainait vers lui dans de larges gabares à fond plat, les crus réputés d’un vignoble prestigieux, déjà célèbre au temps de l’empereur Gallien. Portées par la marée, lourdement chargées de sable roux, elles remontaient mes eaux. La houle semblait recouvrir les cales rebondies. À Bègles, des guirlandes de morues séchaient au soleil, pendues sur plusieurs lignes superposées de fil de fer. Aux rives d’Arcins, on trouve encore des cabanes sur pilotis. Un spécialiste rencontré par L’Observatoire explique : « Ces cabanes sont des concessions du domaine maritime. Les pêcheurs utilisent de grandes épuisettes (carrelets). Avec un treuil, ils les descendent puis les remontent, chargées de crevettes, d’anguilles et parfois de lamproies ». La pêche au carrelet est une tradition depuis le Moyen Âge. À cette époque, seuls les clercs et les juges parlaient latin. La population utilisait la langue d’Oc, connue sous différents noms : limousin, occitan, roman, gascon, voire aquitain. Les poissons y perdaient leur latin !

Selon une légende, les deux lettres O et C représenteraient le soleil et la lune. Rendez-vous impossible, comme le chantait Charles Trenet ? Ce couple extraordinaire éclaire pourtant mes cabanes et tout le décor de ma vie tumultueuse.

Annick Rose Mancione