Et si nous étions tous plus ou moins fous !

Chroniques d'Alain Baudru

En attendant Bojangles d’Olivier Boudeaut.

 

Ne vous attendez-pas à ce que je vous raconte ce merveilleux petit livre. Découvrez-le ! Uniquement si vous aimez l’humour déjanté, l’imagination sans retenue, la vie sans limites et si vous avez un brin de folie. Car c’est bien de folie dont il s’agit dans ce conte  très philosophique au-delà des apparences. Ce ne sont que des mots. Loufoques, absurdes mais assemblés ainsi, ils nous font réagir à chaque instant. Des vérités implacables. Rire, interrogation, admiration, exclamation, peine, espoir… Dans ce premier livre édité (deuxième écrit), Olivier Boudeaut nous régale. Comment arriver à imaginer tout cela. Constats si évidents, commentaires si vrais, jeux de mots si intelligents. Il nous ouvre les portes avec enthousiasme  et drôlerie de la folie douce et moins douce. Un petit garçon raconte l’histoire de ses parents et se « demande comment les autres enfants peuvent vivre sans eux ». Georges et son épouse vous font entrer dans la danse grâce à la musique de Nina Simone qui sert de fil conducteur. Elle présente son amant à son mari : « Un amant fougueux. Quand il veut ! ». Elle perd parfois la tête « même si la partie visible reste sur ses épaules ». Vous comprendrez pourquoi les contraintes absurdes sont les vraies absurdités de la vie. Vous allez faire connaissance avec Bulle d’air, l’Ordure, Yaourt (président qui demande à ce qu’on se rallie à son fromage blanc), l’inspecteur des impôts et Mademoiselle Superfétatoire « qui ne sert à rien » mais est indispensable à ce récit. Vous apprendrez aussi pourquoi ce couple hors des conventions fête la Sainte-Georgette. Vous lirez « des monologues enflammés d’ivrognes inspirés ». Vous découvrirez aussi une utilité originale d’EDF. Des évidences vous sauteront réellement aux yeux. Tellement logique ! Et vous saurez, dorénavant, quoi faire de votre courrier. Mais je vous laisse vous délecter de mots, d’idées, de situations et imaginer ce que peut être la vie quand on la pousse à bout. Incroyable mais réelle œuvre. La folie extra-ordinaire. Un délice.

 

Vol au dessus d’un nid de coucous (Milos Forman 1975)

 

Pas tout jeune ce film ! Et pourtant quel régal de regarder à nouveau cette formidable œuvre aux 5 Oscars.

Mac Murphy, Jack Nicholson (formidable) est interné, accusé de viol sur mineure et simule la folie. Il nous est sympathique dès le début du film, car la caméra habilement située à côté de lui – et surtout le montage –, nous y amènent. On rit bien que l’ambiance soit pathétique. Ceci pour nous détendre. Mais la musique anempathique et parfois décalée amplifie les situations. L’organisation se détériore graduellement. Tout ce qui peut mal tourner, va mal tourner.

Vous aviez peut-être compris que cet hôpital psychiatrique représente une société où la liberté est entravée. Examinons le sens anglais des noms qui nous éclaire dans cette métaphore politique. Mac Murphy (le belliqueux) incarne la résistance au pouvoir. Il est le défenseur des faibles face à l’autorité exagérée représentée par Miss Ratched (signifie femme peu attrayante, stupide et tyrannique). Turkle : tortue. Spivey : élégant. Chesswick : malléable. Scanborre : taiseux. Mildred : force tranquille. À chacun son rôle dans cette « société ».

Vers la fin, pour avoir agressé le pouvoir représenté par Miss Ratched, Mac Murphy est lobotomisé. L’Indien l’étouffe pour abréger ses souffrances, le voyant si diminué. Plutôt la mort qu’une vie d’opprimé en est le message. L’Indien, « la Montagne », un colosse, incarne la liberté. Celle-ci revient en force en fin de film dans une scène qui s’oppose à la première du film, celle où Mac Murphy arrive menotté. Dans cette dernière scène, avec une fontaine, l’Indien défonce la verrière et s’enfuit dans les montagnes. Retour à la liberté. Rappel aussi du massacre des Indiens, le plus grand génocide de tous les temps.

Mais allons encore plus loin. C’est en réalité le printemps de Prague de 1968 qui est l’objet réel de ce film. Milos Forman, résistant au communisme fuit la Tchécoslovaquie, son pays. Il a voulu mettre en scène ce groupe de personnes vulnérables souvent fatiguées et misérables. Ces coucous (cuckoos en anglais, qui a aussi le sens de « cinglés » aux EU) sont les représentants des opprimés de son pays martyrisé. Poussons notre réflexion… Ces « coucous », tout comme les oiseaux du même nom, ne seraient-ils pas eux-mêmes en partie responsables de leur état par leur comportement ? Je vous laisse approfondir le sujet en étudiant de plus près ce surprenant oiseau squatteur.  

Le film va de l’égoïsme au début, à la générosité et la solidarité à la fin. Refus de la normalisation de la société. Refus de l’isolement et du repli sur soi des êtres humains. Quelle belle leçon ! Et si nous étions tous plus ou moins fous ?